lundi 30 novembre 2015
Identité, xénophobie, racisme… sortons les dictionnaires!
«Apporte-moi-don l'affaire que j'ai laissée dans la remise.» Quelle affaire? «Tu sais, l'affaire qu'on a sortie hier. Je l'ai laissée sur l'autre affaire, dans le coin, à côté du mur… Tu sais ce que je veux dire...» Combien de fois avons-nous eu de tels échanges, résultant généralement des lacunes de notre vocabulaire ou, peut-être encore plus fréquemment, de l'hésitation à employer dans une conversation un terme précis que l'on connaît mais qui nous semble davantage à sa place dans un texte écrit…
Dans «notre petit village encerclé» d'Amérique du Nord où, à coups de Loi 101 amochée, on voudrait convaincre les nouveaux venus de parler cette langue que nous utilisons nous-mêmes de façon déficiente et que nous valorisons trop peu, des mots comme «affaire» et «chose» sont devenus des passe-partout irritants qui nous permettent de tout mêler en espérant que nos interlocuteurs, de même culture, vont facilement en décoder le sens et nous comprendre… Misère…
Mais cette fâcheuse tendance d'étirer indûment la portée de mots et d'expressions ne se limite pas aux «affaires» qu'on cherche dans nos remises. Ce matin, en feuilletant Le Devoir, je vois ce titre: «Québec Solidaire se distancie du débat identitaire». Comme je m'intéresse de près à ce type d'enjeu, l'article passe sous ma loupe. Et me voilà surpris, le texte n'aborde à peu près pas l'identitaire. Il évoque bien plus le port de symboles religieux et le degré de tolérance sociétale à l'endroit de ces signes.
Or, cela a très peu, sinon rien à voir avec l'identité québécoise ou francophone nord-américaine. Jadis, disons jusqu'aux années 1950, on aurait pu prétendre que les principales composantes de notre identité collective étaient la langue française, la religion catholique et nos vieilles souches de France (enrichies d'apports autochtones). Cependant, depuis la laïcisation accélérée des années 1960 et l'immigration massive du dernier demi-siècle, l'identitaire d'ici en 2015 repose entièrement sur la langue et la culture françaises, et s'exprime politiquement dans une variété d'options politiques, dont la souveraineté.
Tout ce qui concerne des enjeux comme la présence du niqab au moment de voter ou à une cérémonie de citoyenneté, le port du voile islamique ou d'autres signes religieux par des employés de l'État, le droit ou non de porter un turban dans les forces armées ou policières, ou encore la récitation d'une prière chrétienne au début d'un conseil municipal, tout cela entre dans la grande mouvance internationale des droits de la personne et de la séparation toujours croissante entre l'État et les religions.
Le combat humain pour la neutralité religieuse ou la laïcité de l'État dure depuis des siècles et a connu des variantes dans des centaines de pays, régions et localités. Ce débat de civilisation transcende les frontières, les cultures et les races. Les intégrismes religieux (ou anti-religieux) et leurs excès ne connaissent pas non plus de frontières. Ces questions sont à l'ordre du jour d'États et de gouvernements sur tous les continents, peu importe les identités politiques ou culturelles.
Ici même, la preuve en est faite et ceux qui continuent d'entretenir la confusion à ce sujet le font par ignorance ou, pire, exprès… Durant le débat sur la charte des valeurs en 2013 et 2014, au Québec, les sondeurs ont découvert - à leur grande surprise? - qu'environ 40% des Ontariens appuyaient les principes défendus dans la charte de la laïcité. La proportion d'appuis était appréciable partout au Canada… et provenait autant de progressistes favorables au principe d'un État laïc que de rednecks de droite intolérants à l'endroit de cultures et traditions étrangères…
Il est possible que les questions entourant la laïcité de l'État (et de la société) soient plus intimement liées aux enjeux identitaires au Canada anglais, où le salmigondis du multiculturalisme a presque été érigé au rang de religion d'État et de droit quasi constitutionnel. Tel n'est pas le cas au Québec où le principe d'intégration consacré par la Charte de la langue française a créé un tout autre environnement, du moins en principe… Quand on regarde ce qui se passe à Montréal, j'avoue qu'on pourrait avoir des doutes…
Toujours est-il que le débat identitaire, au Québec et dans l'ensemble du Canada francophone, porte essentiellement sur la langue et la culture françaises, et sur les formes politiques les plus opportunes pour assurer la pérennité de cette langue et de cette culture. De jeter pêle-mêle dans cette marmite le niqab, le hijab, le voile, le turban et tout le reste, avec une bonne pincée de xénophobie et de racisme, autres mots galvaudés par les temps qui courent, ne sert qu'à entretenir nos lacunes de langage et des préjugés (fort bien utilisés en période électorale).
En tout cas, quand je lis un texte comme celui du Devoir d'aujourd'hui (http://bit.ly/1PVQaeq), je me dis que Québec Solidaire a peut-être trop d'affaires dans son affaire, et que ça fait l'affaire de bien du monde...
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