mercredi 4 novembre 2015

L'assermentation du cabinet de Justin Trudeau: la puissance des symboles

photo du site Web du premier ministre Justin Trudeau

J'ai passé l'avant-midi du 4 novembre à alterner entre Radio-Canada et CBC, pour voir en direct la transition au gouvernement de Justin Trudeau. Au-delà de l'ambiance presque festive qui semblait régner au sein des deux réseaux publics de télévision, de toute évidence heureux de ne plus avoir à subir la mine patibulaire de Stephen Harper, une chose m'est apparue plus claire que jamais: la puissance des symboles... et leur utilisation pour séduire l'opinion publique.

En attendant de pouvoir juger la substance de ce nouveau gouvernement, on peut au moins apprécier l'aisance avec laquelle il a, ce matin de novembre, à Ottawa, manipulé l'image et le symbolisme - contrairement à ses prédécesseurs. Évidemment, le beau temps et un redoux de novembre, presque un été des Indiens, ajoutait énormément de couleur au décor de la résidence du Gouverneur général. Une température semblable au début de novembre est rare, très rare… Mais il y avait plus.

Voici quelques éléments de symbolisme, sans doute voulus, qui ressortaient très clairement et qui seront sans doute de nature à accentuer la lune de miel dont profiteront les troupes libérales après les neuf années Harper:

1) l'ouverture au public. Les citoyens avaient été invités à un terrain qui leur est habituellement interdit, à un événement qui - par les temps qui courent - aurait pu se dérouler derrière un épais cordon policier. L'enthousiasme de la foule, tout de même assez nombreuse compte tenu de l'absence quasi totale de stationnement dans les parages du 24 Sussex et de Rideau Hall, transporté par la télé aux quatre coins du pays, renforce de message d'accueil et d'ouverture.

2) l'arrivée à pied de Justin Trudeau et de sa cohorte de ministres sous une haie d'honneur de citoyens, plutôt qu'à la porte de la Résidence du GG en limousines (la puissance de l'image décuplée par le brillant feuillage automnal et une matinée ensoleillée), pouvait être perçue dans l'opinion publique comme le rejet d'un certain élitisme et l'adoption d'un comportement plus proche de la classe moyenne. 

3) la nomination de 15 hommes et 15 femmes à son conseil des ministres transmet un puissant message d'égalité des sexes, surtout en tenant compte du fait que les femmes sont fortement minoritaires au sein de sa députation. Il devra cependant expliquer comment cette égalité, qu'il respecte scrupuleusement au gouvernement, ne s'applique plus à l'examen de certains comportements socio-religieux (p. ex. l'acceptation d'un vêtement comme le niqab qui consacre l'infériorité de la femme).

4) la relative jeunesse du personnel de son cabinet (certains ministres ont moins de 40 ans et Justin Trudeau lui-même n'a que 43 ans) signale le transfert d'un certain pouvoir à une nouvelle génération, et le départ graduel des baby boomers. Cela crée cependant des attentes au sein du public, qui risque d'être déçu si après quelques années, c'est du pareil au même…

5) l'ouverture aux journalistes. Déjà annoncée durant la campagne électorale, l'attitude de Justin Trudeau envers les médias contredit carrément l'hostilité et la culture du secret imposée sous Stephen Harper. Même les ministres auront désormais le droit de rencontrer les journalistes sans l'imprimatur du chef. Cela donnera, au moins pour un temps, une presse généralement sympathique…

6) l'ouverture aux médias numériques. Les médias sociaux ont été largement investis par les libéraux durant la campagne et voilà qu'immédiatement après l'assermentation, le nouveau premier ministre se prête à un Google hangout (expression que je ne connaissais pas), un genre de dialogue audiovisuel sur Internet avec des groupes de jeunes. Cela signale un changement majeur de culture technologique, et favorise l'image d'un gouvernement carrément planté dans le 21e siècle.

7) les changements climatiques… Parfois une petite modification du nom d'un ministère symbolise toute l'ampleur du changement de la philosophie par rapport au gouvernement précédent. Ainsi le simple fait de renommer le ministère de l'Environnement en l'appelant «ministère de l'Environnement et des Changements climatiques» affirme comme priorité un phénomène dont Stephen Harper niait presque l'existence. Et le fait de nommer une scientifique ministre de la Science change radicalement le ton par rapport aux conservateurs qui avaient offert au Canada un Bureau de liberté des religions…

8) Le message de multiculturalisme était très clair, tant par l'apport des cultures autochtones que par la présence de ministres originaires d'autres pays (Inde, Afghanistan). Par contre, à part l'alternance des lectures en anglais et en français, rien ne symbolisait le caractère plurinational du pays, ce rapport Québec-Canada, cette relation francophone-anglophone qui est la raison-d'être du régime fédéral qu'on voudrait nous faire célébrer en 2017… Cette absence est tout aussi révélatrice…





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