En ce début de 2015, alors que le débat sur la liberté de presse et d'expression couve toujours et s'enflamme à l'occasion, ici et ailleurs, cela vaut la peine de jeter quelques regards sur une époque dont on parle peu au Québec, celle de la fin du 18e et du début du 19e siècle, alors que l'Angleterre combattait jusque dans ses colonies - et notamment celle d'Amérique du Nord où la majorité parlait français - les idées de la Révolution française et, par la suite, les armes de Napoléon et de ses alliés.
Entre la répression militaire, la propagande anti-française et les mandements d'un haut-clergé pro-britannique, la population francophone de la vallée du Saint-Laurent était soumise à un bombardement quotidien destiné à la rendre docile à l'endroit des autorités coloniales et hostile aux idées de liberté et de laïcité émanant de la France révolutionnaire. Malgré tout, un fond de rébellion résistait et réussissait à se faire entendre, soit par la présence des premiers patriotes à l'assemblée législative, soit par une presse indépendante naissante qui, tout en étant réprimée par la censure, luttait pour s'affranchir des tutelles d'en haut.
Voici quelques extraits de correspondances au journal Le Canadien en 1807, durant les toutes premières années de lutte pour une presse de langue française libre au Bas-Canada (le Québec d'aujourd'hui). Ces textes sont tirés du livre Les journalistes-démocrates au Bas-Canada (1791-1840), publié aux Éditions de Lagrave en 1975. Ces écrits restent tout à fait pertinents en 2015 et doivent servir à nous rappeler que la résistance d'aujourd'hui aux empires médiatiques et aux élans répressifs des gouvernements puisent dans des racines issues de semences vieilles de plus de deux siècles.
Voir comment les journaux sont soutenus et quels sont les intérêts de leurs propriétaires...
Un correspondant écrit le 13 décembre 1807 : «Le seul moyen de communication pour ceux qui voudraient défendre les intérêts du peuple est la presse. Mais il faut que ce soit une presse libre de l'influence de tous ceux qui pourraient avoir des intérêts opposés à ceux du peuple. Si elle était en aucune manière dépendante d'eux, soit pour une existence ou par l'intérêt des propriétaires, on ne pourrait jamais s'y fier ni la regarder comme une presse propre à défendre les intérêts du peuple.
«Si comme je crois l'avoir fait voir, une presse libre est essentielle à la sûreté du peuple de ce pays s'il veut conserver sa liberté, il n'a qu'à examiner toutes les presses du (Bas-)Canada les unes après les autres et voir comment elles sont soutenues et quels sont les intérêts de leurs propriétaires. Et il pourra décider quelle est celle qui mérite ce titre. Quand il l'aura trouvée, dût-elle ne donner qu'une feuille de papier blanc, il doit la soutenir pour assurer son existence.»
Un second correspondant écrit qu'une presse libre «doit méconnaître les riches et les grands s'ils sont vicieux, et protéger les pauvres et les petits s'ils sont vertueux… Elle doit même s'entretenir hardiment et généralement de tout ce qui peut être contraire à la société et nuisible au peuple.
«Voilà, monsieur le rédacteur, mes réflexions sur ce que je conçois de la liberté de la presse. Autrement c'est une chimère que d'y croire… Les éditeurs d'un papier libre ne doivent pas craindre de se faire d'ennemis s'ils n'impriment que des vérités et des faits. Ils ne doivent pas non plus se permettre la suppression d'aucun écrit parce qu'ils supposent qu'il pourrait blesser telle ou telle personne. Tant pis pour ceux qui sont en faute!
«Quel avantage je vous le demande, doit-on se promettre d'un papier tel que le vôtre qui craint d'exposer au grand jour les injustices et les abus - je le répète encore - qui s'introduisent et se commettent journellement? À quoi sert un tel papier s'il n'est permis (d'y avoir accès) à ceux qui, dépouillés de l'esprit d'adulation et de courtoisie, se sont fait un devoir d'exprimer librement et modérément ce qu'ils pensent véritablement et ce qu'ils croient être pour le plus grand bien?»
Avoir comme sentinelle la liberté absolue de la presse...
Et enfin, cette citation de Sylvain Maréchal reproduite par l'auteur Jean-Paul de Lagrave, remontant aux environs de 1790 et tirée du journal Révolutions de Paris, que je trouve inspirante… «Dans quelque état que se trouve la chose publique, n'en désespérez pas tant qu'elle aura pour sentinelle la liberté absolue de la presse. Mais n'attendez rien du salut de la patrie, si vous vous laissez dessaisir de cette arme…»
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