À force de fixer l'arbre, on risque toujours de perdre de vue la forêt. Je n'ai en main que l'article (http://bit.ly/1yQDQV3) de l'excellent Philippe Orfali, du Devoir, n'ayant pas encore lu le mémoire du Québec à la Cour suprême, mais j'ai l'impression que le gouvernement québécois vient de perdre de vue la forêt linguistique en appuyant les gouvernements - et notamment celui du Yukon - qui veulent restreindre le droit de gestion scolaire de leur minorité francophone.
Dans sa crainte de voir la minorité anglo-québécoise utiliser l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés pour aller chercher une clientèle que lui refuse la Loi 101, Québec semble avoir oublié le fond de la question. À l'exception des langues autochtones, seule la langue et la culture françaises sont menacées au Québec et dans l'ensemble du Canada. Et les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ont reconnu ce fait historique et actuel dans leurs décisions.
On aura beau critiquer la Cour suprême (qui devient d'ailleurs de plus en plus hostile aux droits des francophones depuis l'avènement du gouvernement Harper), elle a, par le passé, accepté de traiter de façon différente les minorités francophones hors-Québec historiquement persécutées et la minorité anglophone dorlotée du Québec. Elle a su reconnaître que les francophones sont minoritaires dans neuf provinces mais que la majorité francophone du Québec est aussi minoritaire au Canada et en Amérique.
La Cour suprême a, jusqu'à récemment, défendu les droits linguistiques des francophones hors-Québec avec beaucoup plus de vigueur que ceux des Anglo-Québécois. Ce sont les juges de la plus haute instance fédérale qui ont écrit dans l'arrêt Ford en 1988: «exiger que la langue française prédomine, même nettement, dans l'affichage serait proportionnel à l'objectif de promotion et de préservation d'un "visage linguistique" français au Québec.»
En 2006, le ministre Benoît Pelletier notait lui-même, au nom du gouvernement libéral de Jean Charest, une évolution de la Cour suprême: «Les 15 dernières années ont été marquées par une évolution de l'interprétation de l'égalité en matière de droits linguistiques (…) favorable à une prise en considération de la situation particulière du Québec par rapport aux autres provinces et territoires canadiens. De plus en plus sensible à une approche asymétrique en matière de droits linguistiques, les tribunaux ont régulièrement considéré dans leur analyse le contexte sociolinguistique et historique propre aux francophones du Québec et des autres provinces et territoires du Canada.»
La «forêt» que le gouvernement Couillard ne semble plus voir, c'est cette menace globale qui pèse sur la langue et la culture françaises au Québec, au Canada et en Amérique du Nord, une menace qu'ont perçue les tribunaux et dont ils ont tenu compte dans leurs décisions. La symétrie de la menace a engendré une asymétrie des décisions judiciaires, selon qu'elles sont rendues pour la francophonie québécoise ou la francophonie hors-Québec.
On pourra au moins se consoler du fait que l'équipe Couillard semble enfin s'être rendu compte qu'il existe un danger au Québec même (son de cloche fort différent de l'approche anglophile et anglicisante habituelle), mais les autorités québécoises actuelles sont mal équipées pour comprendre la situation de la francophonie acadienne et canadienne-française hors-Québec. Et ça paraît.
Québec, dans cette affaire de droits scolaires des Franco-Yukonnais, aurait dû foncer avec le plus de vigueur possible pour que les tribunaux accordent le plus de latitude possible à cette petite minorité francophone. Si ce n'est que pour réparer les injustices historiques et sauver les meubles qui peuvent être sauvés. La ministre Stéphanie Vallée aurait pu ajouter que le Québec francophone, quoique mieux équipé juridiquement, fait face aux mêmes défis culturels et linguistiques à long terme, et que la majorité francophone du Québec doit elle aussi utiliser toutes ses ressources pour assurer - notamment dans le système scolaire - le dynamisme et la pérennité du français.
Si les tribunaux ne comprennent pas ça, nous savons ce que nous avons à faire! Et au Québec, nous en avons les moyens! En s'opposant aux revendications des francophones du Yukon, Québec se tire dans le pied...
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