Avant l'adolescence, je ne connaissais pas beaucoup Hull, Gatineau, Aylmer et les vallées environnantes. J'étais alors franco-ontarien, vivant dans un petit quartier (francophone) de l'ouest d'Ottawa, entre le pont Champlain et le pont des Chaudières. Le Québec était à distance de marche, mais on n'y allait pas souvent, sauf pour de petites randonnées en vélo...
C'est au secondaire, puis à l'Université d'Ottawa que j'ai été véritablement initié à l'Outaouais québécois. Et je me souviens d'une expression plutôt vulgaire qu'on entendait au début des années 1960... et qui traduisait un peu crûment le sentiment d'éloignement mais aussi un certain ressentiment devant le peu d'estime que témoignaient aux gens d'ici les grands centres de décision provinciaux dans la Vieille Capitale et la Métropole. La ville de Hull, disait-on, c'était le «trou de cul» du Québec...
En 1975, je suis devenu résident de Hull, puis de Gatineau en 1980. C'était bien avant que l'ensemble du territoire urbain soit fusionné de force et prenne le nom de Gatineau. Je n'ai guère mis de temps à comprendre la frustration outaouaise. Mi-perception, mi-réalité dépendant des situations, elle couve sans relâche... sans pour autant (ou très rarement) menacer de bousculer l'ordre établi.
Sauf pour les élections dans Hull et Papineau (Chapleau) en 1976, la fidélité (soumission) au Parti libéral du Québec depuis une cinquantaine d'années a créé un électorat quasi captif et impuissant. Le Parti québécois n'a plus rien à gagner en accumulant les promesses à l'Outaouais, et les libéraux peuvent négliger la région à volonté, impunément. C'est ainsi qu'on peut mettre ici un demi-siècle à construire une demi-autoroute (la 50) sans la moindre révolte locale...
Quasi coupée du reste du Québec, vue trop souvent comme une bled éloigné parmi d'autres, absente dans les grands médias, en situation de dépendance économique par rapport à Ottawa, à la fois sa grande soeur/big sister et la capitale du Canada, la ville de Gatineau est devenue la métropole d'une région en errance dont le sort indiffère le reste du Québec.
Mi-réalité, mi-perception? Sans doute. Mais regardez la carte routière du Québec et voyez ce qu'on a fait de l'Outaouais... un accès de plus vers l'Ontario au lieu d'un carrefour névralgique entre le nord-ouest québécois et la métropole. On a des milliards pour un plan Nord, mais aucune vision pour le potentiel du sud-ouest et de l'ouest… relégués au statut de parias politiques, économiques et culturels du Québec.
Ce que je vois d'ici, à Gatineau, dans l'ombre de la tour du Parlement fédéral, c'est un État québécois qui alterne entre la négligence (plus fréquente) et les gros sabots face à l'Outaouais. Les rappels à répétition d'un sous-financement chronique en santé et en éducation n'émeuvent guère les tours bureaucratiques et politiques à Québec et à Montréal, mais un déficit de 5,6 millions de dollars au CSSS de Gatineau entraîne une tutelle immédiate et l'arrivée des blindés du Dr Barrette... Allez comprendre!
Depuis plus d'un siècle, les gouvernements successifs à Québec ont assisté dans l'indifférence à l'assimilation des francophones de la rive outaouaise dans la Fonction publique fédérale et à l'érosion de la francophonie au Québec même dans les régions du Pontiac et de la vallée de la Gatineau. Mais dès que la Loi 101 menace les privilèges des municipalités «bilingues à l'anglaise» et dès qu'un sursaut de ferveur souverainiste se manifeste, la députation libérale provinciale et locale monte au front pour défendre les anglophones déjà dominants et/ou relancer les campagnes - usées mais efficaces - de peur collective...
Les grands médias ont leur part de responsabilité, en faisant le plus souvent comme si le Québec cessait d'exister à l'ouest de Montréal... Il est grand temps que les gens sachent que Gatineau est la quatrième ville du Québec après Montréal, Québec et Laval... Que le Centre de santé et de services sociaux de Gatineau (CSSSG), désormais en tutelle, est le deuxième plus gros CSSS au Québec, avec plus de 5000 employés et plus de 500 médecins... Que Gatineau compte près de 300 000 personnes mais qu'elle constitue également la couronne nord d'une région bi-nationale d'un million et quart d'habitants.
Le mise en tutelle du deuxième plus gros CSSS du Québec dans la quatrième ville de la province aurait dû compter parmi les manchettes médiatiques un peu partout. Ce ne fut pas le cas. Ce n'est jamais le cas. Avoir fouillé le moindrement, on aurait peut-être découvert, entre autres, que l'Outaouais se classe au dernier rang pour les dépenses de santé publique dans les régions intermédiaires du Québec. On se serait peut-être rendu compte qu'il aurait été plus économique de renflouer un faible déficit dans une région sous-financée que de sortir l'artillerie lourde et coûteuse d'une tutelle bureaucratique et politique.
S'imagine-t-on le temps et l'argent qu'on dépensera à faire l'inventaire des inventaires déjà complétés pour trouver des coupes additionnelles? Le ministre Barrette prétend qu'il existe ici une culture du déficit et que les autorités locales n'ont pas fait d'effort suffisant. Même si elle appuie la tutelle (elle est bien obligée...), la ministre Stéphanie Vallée affirme qu'il n'existait pas de manque de volonté et que les administrateurs ont passé des «nuits blanches» pour tenter d'atteindre l'équilibre budgétaire...
Jamais l'impuissance et l'isolement politiques de l'Outaouais n'auront été plus en évidence... Mais le triumvirat médical du gouvernement actuel n'a rien à craindre. Si le passé est garant de l'avenir, la majorité silencieuse d'ici restera très silencieuse... qu'on nous néglige ou qu'on s'amène avec de gros sabots pour nous «apprendre» à devenir plus compétents et moins dépensiers. MM. les docteurs Couillard, Barrette et Bolduc pourront se citer en exemples...
«S'cusez-la», comme on dit à la fin d'une chanson à répondre, mais parfois il faut laisser le verre déborder… Si j'ai erré ci-dessus et qu'on me rappelle à l'ordre avec raison, je m'excuserai sans hésitation...
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