mercredi 31 décembre 2014

Bonne année 2015...

Quand on a invoqué le texte de blogue que j'avais signé le 19 mai (Le silence assourdissant des salles de rédaction) comme seul motif de renvoi de l'équipe éditoriale du quotidien Le Droit, le matin du 30 mai dernier, j'avais déclaré à mon interlocuteur, en l'occurrence le rédacteur en chef, que je trouvais «un peu stalinien» ce déni du droit d'exprimer publiquement des dissidences sur les grandes orientations de la presse (imprimée, numérique) ainsi que sur l'avenir (incertain) des quotidiens de l'empire médiatique Power/Gesca, propriétaire du Droit.

L'emploi du mot «stalinien», même adouci en le précédant d'«un peu», avait fait sursauter mon vis-à-vis, et je me suis demandé si je n'y étais pas allé «un peu» fort en évoquant l'époque la plus glaciale du soviétisme dans une entrevue qui, toute musclée qu'elle fut, s'était tout de même déroulée calmement. Cela m'a «un peu» chicoté par la suite mais en cette fin de 2014, après avoir décortiqué les jalons de la bousculade de mai et revu la suite erratique des événements jusqu'à décembre, je me réconcilie de plus en plus avec ce bref excès de langage.

J'avais cru, naïvement semble-t-il, que les organisations médiatiques ayant comme mission de diffuser l'information et l'opinion, toutes concentrées qu'elles soient entre les mains de quelques-uns, restaient forcément des milieux où le choc des idées faisait partie du pain quotidien. Même quand ce choc des idées mettait en jeu les organisations médiatiques elles-mêmes et leurs propriétaires. Or, à ma grande surprise, du moins au sein de l'empire Gesca, j'ai découvert une direction avec une conception «un peu stalinienne» de la liberté d'expression.

En mai 2014, j'étais loin d'en être à mes premiers écarts dans mes textes de blogue. Sous les yeux de la direction du Droit et de Gesca, et donc avec son approbation tacite, j'avais publiquement appuyé le Bloc québécois à Ottawa et soutenu avec toute l'énergie possible, presque sans nuances, la charte de la laïcité proposée par le gouvernement Marois. Entre autres, et sans conséquences. Cependant, le jour où, pour défendre l'avenir de mon quotidien, Le Droit, j'ai dû planter quelques éperons dans les flancs de Gesca/Power, on a rapidement et sans appel mis fin à mon statut d'éditorialiste contractuel, après 45 ans de loyaux services…

Sept mois plus tard, ayant scruté depuis le printemps (dans la mesure du possible) l'évolution du Droit et des autres quotidiens de Gesca, y compris celle du vaisseau amiral, La Presse, j'ai décelé au moins trois caractéristiques qui rapprochent l'empire Power/Gesca des régimes autoritaires de toute époque:

1. L'obligation, sous peine de sanction (visible ou pas), d'être fidèle à un «programme de parti» qui prône l'abandon de la presse imprimée (donc la disparition des versions papier des sept quotidiens de Gesca y compris Le Droit) et le passage complet aux tablettes numériques sous le modèle de LaPresse+. Le sort qu'on m'a réservé démontre l'existence de sanctions, et le silence général du personnel (y compris la gent journalistique) de l'empire témoigne avec éloquence d'un climat répressif, à moins que tous et toutes ne soient d'accord avec la ligne du parti… Les témoignages de sympathie ou de solidarité à mon endroit ont été faits en privé, presque en confidence, et il me semble que le personnel journalistique de Gesca se garde souvent une petite gêne (par choix? Pas sûr...) quand vient le temps de participer aux débats dans les médias sociaux sur les orientations de leur empire et sur leurs méfaits possibles.

2. La censure généralisée (sauf rares exceptions) de toute information allant à l'encontre du «programme de parti» ou critiquant les décisions de l'empire liées à la réalisation de ses objectifs. Le Droit a censuré toutes les réactions, y compris celle des syndicats de ses propres employés, à l'annonce de la disparition des versions imprimées par les frères Desmarais. Seul un texte de l'Assemblée de la Francophonie de l'Ontario, publié en page d'opinion, y a fait référence. L'ensemble des quotidiens de Gesca a censuré la totalité du débat médiatisé entourant mon congédiement, au printemps, et lors des échanges publics, à l'automne, entre Pierre-Karl Péladeau et Pierre Craig, président de la FPJQ. Censure totale aussi dans Gesca, à ma connaissance, des nouvelles sur la remise du Prix de journalisme Olivar-Asselin, en novembre, que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal m'a décerné. Suppression généralisée aussi, dans ces journaux, des annonces de coupes ainsi que des réactions aux coupes de personnel et services liées à la réalisation des objectifs impériaux.

3. Un fonctionnement entrepreneurial et une présentation de l'information qui semblent exclure les réalités susceptibles de contredire le «programme du parti». La direction semble s'efforcer de présenter sa vision comme la seule, sans souffrir de contradictions. Les textes d'opinion ou les analyses qui mettent en valeur l'imprimé ou jettent le doute sur le succès du numérique tel que préconisé par l'empire sont publiés dans différents médias, mais rarement dans la presse Gesca. Et quand le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) du Québec a décerné en septembre le Prix du 3-juillet-1608, l'éditeur du Droit, Jacques Pronovost, a évoqué le centenaire du journal et le besoin de «nous préparer aux prochaines étapes de notre développement»… en omettant bien sûr de dire aux lecteurs que son patron André Desmarais avait annoncé la disparition éventuelle du Droit quelques mois plus tôt… 

L'équipe éditoriale du Droit a perdu ses deux seuls collaborateurs en 2014. Un qu'on a mis à la porte pour délit d'opinion, l'autre qui a pu quitter de son plein gré. Je me permets de citer le dernier éditorial de Pierre Bergeron (29 décembre 2014), pour rappeler des valeurs que l'empire Gesca semble vouloir enterrer dans sa hâte de faire disparaître ses quotidiens sur papier et de tout tabletter. «En ces temps où l'avenir des journaux est remis en question, il est important de ne jamais perdre de vue le rôle de l'information et de l'opinion dans notre société.» Les changements profonds touchant la presse écrite «ébranlent nos certitudes et nous obligent à nous remettre en question». Et mon ex-collègue conclut avec la devise du Droit, que je fais toujours mienne même si je suis vieux: «L'avenir est à ceux qui luttent.»

Ne jamais perdre de vue le rôle de l'information et de l'opinion… Ébranler les certitudes… Se remettre en question… Lutter… Voilà des valeurs qui s'accommodent mal d'un climat «un peu stalinien»… Si, par contre, le personnel des salles de rédaction (de tous les empires médiatiques) croit toujours à l'information, au débat, à la liberté d'expression, aux remises en question, il est grand temps de sortir les casseroles intellectuelles, car bientôt, très bientôt, dans les quotidiens régionaux de Gesca, Le Droit, Le Soleil, La Tribune, Le Quotidien, Le Nouvelliste, La Voix de l'Est, et même dans La Presse, il sera trop tard. Bonne année 2015…





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