Dans leurs échanges maladroits sur l'enseignement de l'histoire, la semaine dernière, la ministre de l'Éducation Marie Malavoy, le chef libéral intérimaire Jean-Marc Fournier et le caquiste Gérard Deltell ont réussi à transformer une intervention tout à fait opportune en combat partisan.
Mme Malavoy est allée gauchement insister sur la souveraineté et sur le débat national comme éléments importants des cours d'histoire, et il n'en fallait pas plus pour que M. Fournier saute dans la mêlée pour parler d'un « détournement politique de nos écoles » et que M. Deltell évoque ce qu'il considère comme « une instrumentalisation de l'éducation au profit d'une cause politique ».
Comme entrée en matière, on n'aurait pu souhaiter pire. L'impression laissée, c'est que le PQ souhaite accentuer le thème de la souveraineté (on devine pourquoi) et que les autres prennent position en faveur d'un enseignement de l'histoire plus neutre, moins engagé, ou encore qu'ils accordent tout simplement beaucoup moins d'importance à l'histoire comme matière scolaire.
Après l'apprentissage de la langue, l'histoire compte parmi les matières incontournables. Elle est à la base de notre formation citoyenne. Comme individus, comme société, il est impensable d'envisager le présent et l'avenir sans connaître le passé. Combien de fois a-t-on entendu que ne pas connaître l'histoire, c'est se condamner à répéter l'erreur de ceux qui nous ont précédés. L'ignorance nous laisse effectivement sans défense.
Bien sûr, l'histoire n'est jamais un sujet confortable. Manipulée, transformée en propagande, elle est parfois devenue un outil dangereux. Mais dans notre monde contemporain, avec des sources d'information « indépendantes » omniprésentes et des enseignants organisés (ici en tout cas), les tentatives de manipulation de l'histoire deviennent inefficaces et suscitent plus souvent qu'autrement le scepticisme (on l'a vu avec la campagne du gouvernement Harper sur la guerre de 1812).
Les faits nous interpellent plus que les interprétations ou les opinions. Une lecture des compte-rendus factuels d'observateurs et un visionnement des images de camps de concentration nazis de la Deuxième Guerre mondiale ont plus d'impact que n'importe quel sermon historique sur les atrocités des armées hitlériennes. Le simple fait de savoir suffit pour susciter un sentiment d'indignation et incite à vouloir empêcher que de telles horreurs puissent se reproduire à l'avenir.
Cet exemple est extrême, mais le principe reste le même peu importe la situation. Que l'enjeu soit planétaire ou local, un public informé sera toujours mieux outillé pour former une opinion et prendre une orientation éclairée. Ceux dont il faut se méfier sont ceux qui voudraient faire taire le passé ou n'en conserver que ce qui fait leur affaire, ou ceux - et ils sont nombreux - qui sont toujours trop prompts à dire : cessez de vivre dans le passé, ce sont de vieilles affaires, regardez plutôt le présent et l'avenir...
Le débat identitaire qui perdure au Québec, un débat dont l'issue déterminera sans doute le statut politique de la collectivité/nation québécoise, puise l'essentiel de son argumentaire dans l'histoire. L'importance de l'enjeu exige que nos futurs citoyens la connaissent bien, et pas seulement les pans d'histoire qui conviennent aux dirigeants en place. Qu'on présente tous les faits, plutôt que de célébrer les éléments ou les personnages qui servent le mieux la cause en vogue et de reléguer dans l'ombre ceux que l'on estime gênants ou perturbants.
Quand j'avais 17 ans (en 1964), après mon année préuniversitaire à l'Université d'Ottawa, j'ai travaillé pendant l'été au gouvernement fédéral à Ottawa en compagnie d'un étudiant anglophone en droit de Toronto. Mon plus vif souvenir reste une altercation au sujet de Louis Riel. « C'est un meurtrier et un traître », dit-il sans nuances. « C'est un héros et un patriote », dis-je spontanément en réponse. Nos commentaires en disaient long sur la façon dont on nous avait enseigné l'histoire à l'époque. J'ose espérer que les choses ont changé depuis ce temps.
Après plus de 40 ans de journalisme, je continue à croire à la puissance de faits bien présentés dans leur contexte. Qu'il s'agisse de la conquête, de la guerre de 1812, des rébellions de 1837, de la Confédération, des crises de la conscription, de la Révolution tranquille ou des référendums sur la souveraineté, ou d'une foule d'autres situations survenues depuis que nous sommes en terre d'Amérique, qu'on se contente de nous présenter - le plus objectivement possible - les faits... tous les faits. Les jugements se façonneront près, dans le cadre d'un débat informé.
Si on parle de la guerre de 1812, on évoquera les exploits de Salaberry et de ses milices à Châteauguay, mais il faudra aussi parler de la conscription forcée des Canadiens français et des affrontements que cela a engendrés. Et ce n'est pas parce que des symboles des patriotes de 1837 ont été récupérés par le FLQ dans les années 1960 et par de nombreux indépendantistes depuis qu'on doive tenter d'escamoter les excès du régime colonial et les violences perpétrées par l'armée britannique en représailles contre la rébellion. Et ce n'est pas parce que divers éléments de la presse anglo nous accusent faussement d'être racistes, et même parfois fascistes, qu'on doive effacer de nos livres d'histoire la présence d'un courant pro-fasciste et anti-juif au Québec dans les années 1930, jusque dans la Deuxième Guerre mondiale.
Dans un contexte planétaire, l'histoire nous apprend d'où nous venons, qui nous sommes, et comment nous sommes devenus ce que nous sommes. Dans notre gestation identitaire, une bonne connaissance de l'histoire sera toujours incontournable. Il est compréhensible que certains politiciens s'inquiètent des conséquences. Cela pourrait mener à l'indépendance... mais aussi à des variantes du statu quo ou à une foule d'accommodements asymétriques et autonomistes qui ne font pas partie de l'imaginaire collectif actuel. Allez-y, Mme Malavoy, foncez. Vous avez raison sur le fond.
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