L'an dernier, j'ai dû consulter un spécialiste à l'Institut de l'oeil à l'Hôpital d'Ottawa (plus facile pour nous, à Gatineau, d'aller à Ottawa qu'à Montréal). À côté de moi, dans la salle d'attente, il y avait une veille dame (plus vieille que moi en tout cas, et j'ai 66 ans) accompagnée de sa fille adulte. Quand un membre du personnel est venu la chercher, il s'est bien sûr adressé à elle en anglais, situation habituelle dans les hôpitaux de la capitale, même quand ils sont, comme l'Hôpital d'Ottawa, bilingues et affiliés à l'Université d'Ottawa, où l'on forme les médecins en français...
La dame s'est alors tournée vers sa fille avec un regard inquisiteur, et cette dernière a traduit l'explication en français pour sa mère, qui était une Franco-Ontarienne unilingue francophone. Je n'avais pas le choix d'entendre, nous étions assis sur des chaises voisines, et j'ai compris qu'elle était originaire de Hawkesbury, ville de 10 000 personnes située dans l'Est ontarien, à quelques kilomètres de la frontière québécoise. Après vérification du recensement de 2006, j'ai bien vu qu'elle n'était pas seule. Quelque 2 450 résidents de Hawkesbury (23,3% de la population) sont unilingues français. La ville est francophone à 80% environ.
À l'approche de la publication des données linguistiques du recensement de 2006, il sera intéressant de vérifier l'évolution du nombre d'unilingues français dans les communautés situées près des frontières linguistiques et dans celles où les francophones constituent des minorités appréciables à l'extérieur du Québec. La présence d'unilingues francophones reste un indicateur de la capacité, pour ces gens, de vivre une vie relativement normale en français dans leur communauté. Le retraité à la maison, l'employé d'un petit commerce local, le parent (mère ou père) à temps plein, et d'autres peuvent sans doute - ou ont pu par le passé - se débrouiller sans avoir à trop connaître d'anglais. C'était certainement le cas dans ma jeunesse, dans un quartier alors francophone d'Ottawa...
Un coup d'oeil sur quelques recensements indique que la proportion d'unilingues francophones est en forte baisse chez les Franco-Ontariens depuis une cinquantaine d'années. Dans une ville comme Ottawa, où la proportion de francophones unilingues est passée de 3,4% en 1961 à 1,6% en 2006, c'est sans doute en partie un effet direct de la désintégration des quartiers de la ville où les Canadiens français étaient jadis dominants - la Basse-Ville, Vanier, St-François d'Assise, etc. En 1961 il y avait 10 000 unilingues francophones dans la capitale sur une population totale de 268 000. Aujourd'hui (en 2006), on en compte près de 13 000 sur plus de 800 000.
Ailleurs en Ontario, la proportion de francophones unilingues a non seulement chuté en proportion, mais aussi en nombres absolus. À Sudbury, un bastion franco-ontarien du Moyen-Nord ontarien, on dénombrait 3 140 francophones unilingues en 1961 sur une population totale de 80 120, soit près de 4% de la population. En 2006, il n'y en a plus que 2 545 sur 156 045, soit 1,6% de la population. À Timmins, où francophones et anglophones forment chacun environ la moitié de la population, on comptait en 1961 près de 2 000 unilingues francophones sur 29 270 (6,6%). En 2006, c'est 1 525 sur 42 450 (3,6%). À Kapuskasing, où les francophones dominent nettement, la proportion et le nombre sont en chute (de 15% à 7,8%) entre 1961 et 2006.
Le cas de Cornwall, pourtant situé dans l'Est ontarien à proximité de la frontière du Québec, est dramatique. En 1961, la ville, alors peuplée de 43 629 habitants, comptait 43% de francophones et près de 3 500 d'entre eux (8% de la population totale) ne parlaient que le français. En 2006, la ville - dont la population est restée stable, à 44 910 âmes - ne compte plus que 27% de francophones, dont seulement 935 unilingues (2,1% de la population totale de la ville).
Je me permets de noter, en comparaison, que dans la ville québécoise de Châteauguay (située pas très loin de Cornwall), où les anglophones forment le quart de la population (10 710 sur 41 975 au recensement de 2006), près de 4 700 résidents, soit 44% des anglophones et plus de 11% de la population), ne comprennent que l'anglais...
Je termine avec une citation du rapport 2011-2012 du rapport annuel du Commissaire fédéral aux langues officielles, qui rappelle l'expérience de Max Cooke, de Canadian Parents for French. La citation est de ce dernier : « Pendant une semaine (quand j'étais en 8e année), j'ai vécu avec une famille qui ne parlait pas l'anglais (au Québec) et j'ai interagi avec mes camarades francophones unilingues. C'est à ce moment que j'ai pris conscience que s'ouvrait une fenêtre vers une autre culture et que je recevais un cadeau que peu d'autres enfants ont reçu. ».
Le jour où nous serons tous bilingues, nous n'aurons plus rien à offrir comme société... nous serons en transition vers...
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