À quelques jours de la publication des données linguistiques du recensement de 2011 par Statistique Canada (le 24 octobre), je relis tout ce qui me tombe sous la main pour rafraîchir ma mémoire et me permettre de saisir la portée des données qui nous seront offertes la semaine prochaine.
J'ai retrouvé dans ma bibliothèque un petit livre des Éditions Parti Pris signé Robert Maheu, intitulé Les francophones du Canada, 1941-1991. Ce livre, contrairement aux apparences, n'a pas été publié après connaissance des résultats du recensement de 1991. Il a été écrit à la fin de 1969 ou au début de 1970, et imprimé durant le premier trimestre de 1970...
Ce livre, résumé d'une thèse de maîtrise à l'Université de Montréal réalisée par M. Maheu sous la direction du démographe Jacques Henripin, se veut donc à la fois une analyse de l'évolution du phénomène d'assimilation des minorités francophones hors-Québec et des francophones du Québec entre 1941 et 1961, avec une projection jusqu'à 1991.
Ce qui m'a frappé le plus, au départ - et pourtant j'aurais dû m'en souvenir - c'est qu'avant 1971 les recensements n'avaient jamais posé de question sur la langue d'usage (celle utilisée le plus souvent à la maison) ou sur ce qu'on appelle maintenant la PLOP (première langue officielle parlée, et encore comprise). On ne disposait que des questions sur l'origine ethnique et sur la langue maternelle.
Essentiellement, ce que plusieurs faisaient, c'était de soustraire le nombre de personnes de langue maternelle française du nombre de personnes d'origine ethnique française pour obtenir un pourcentage d'assimilation. Ainsi, en Ontario, en 1961, il y avait 647 000 personnes d'origine ethnique française et 425 000 de langue maternelle française. Cela donnait un taux d'assimilation de 34% environ.
Depuis cette époque, les données sur l'origine ethnique ont été abandonnées, avec raison. Elles n'ont plus de sens. Désormais, on regarde les chiffres sur la langue maternelle et ceux de la langue d'usage, que l'on compare pour établir les pertes ou les gains. Les chiffres sur la PLOP viennent compliquer davantage l'exercice. Et à la fin on a un portrait approximatif qui sera interprété selon les intérêts et les convictions de chacun.
Revenant à Robert Maheu, il avait mis de l'avant une formule de calcul sans avoir pu bénéficier des statistiques sur la langue d'usage. Il n'avait pas la patience de les attendre, écrivait-il dans son livre. Avec cette formule, qui utilisait comme facteur important le taux d'assimilation à la naissance, il est arrivé à proposer ce qu'il estimait un portrait plus réaliste de la francophonie canadienne.
Ce portrait se rapprochait davantage de celui peint par les données sur la langue d'usage pour le recensement de 1971. Mais ses prévisions pessimistes pour 1981 et 1991 ne se sont pas réalisées. Par contre, il avait correctement lu l'évolution de la pyramide démographique des francophones hors-Québec (étayée encore récemment par le mathématicien Charles Castonguay) et pressenti un vieillissement accéléré de la population francophone hors-Québec.
La morale de cette histoire, c'est que personne ne semble s'entendre sur une façon correcte et universelle de décrire statistiquement les pertes linguistiques au Canada français hors-Québec. La langue d'usage, pour moi, s'en approche le plus mais elle exagère un peu le taux d'assimilation. Le nombre d'unilingues est une autre composante révélatrice que l'on néglige.
En 1993, l'Association canadienne-française de l'Ontario (régionale d'Ottawa-Carleton) a inclus une question identitaire dans un sondage Léger et Léger de la population francophone de la capitale fédérale. Ces gens correspondaient plus ou moins au groupe défini par la langue maternelle. Elle a découvert qu'une part minoritaire mais croissante (surtout chez les jeunes) ne se définissait plus comme francophone mais comme « bilingue ». Ce type de données aiderait à mieux comprendre la dynamique.
Il serait aussi intéressant de jumeler les données du recensement avec les tirages des journaux de langue française et les cotes d'écoute des médias électroniques francophones.
Quoiqu'il en soit, nous en saurons un peu plus le 24 octobre. Aiguisez vos crayons (expression d'un vieux qui a commencé sa carrière avant les ordis...).
Le prochain recensement pourrait être le premier où les gens de langues maternelles autres que le français ou l'anglais seront plus nombreux que les gens de langue maternelle française.
RépondreSupprimerNaturellement, il faudra vérifier la langue d'usage et la connaissance des langues car plusieurs allophones d'origines africaines ou arabes utilisent le français courrament.