mercredi 6 juillet 2016

Vacances sur le pouce...

…un morceau de ma carte de juillet 1970...

En juillet 1970, j'étais franco-ontarien, et journaliste au quotidien Le Droit depuis une année complète. Cela me donnait droit à quelques semaines de vacances payées… Une première pour moi… Mais que fait-on à 23 ans (et à cette époque) quand on a peu de sous, pas de voiture et le goût de l'aventure? On jette l'essentiel dans un sac à dos et on sort le pouce au bord de la route... 

Même si on a l'impression d'avoir toute sa vie devant soi, certaines choses paraissent urgentes… La fenêtre entre les études et les obligations de la vie adulte est souvent très courte, et si on n'en profite pas pour «oser» un peu, on craint de le regretter pour toujours… Alors contre l'avis de mes parents, avec 25 kilos sur le dos (y compris une petite tente qui me servirait d'abri), le matin du 16 juillet 1970, je suis devenu auto-stoppeur sur la route 17, à l'est des limites de la ville d'Ottawa.

Armé d'une carte flambant neuve du Québec (que j'annotais et que j'ai toujours), j'avais l'intention de traverser la rivière des Outaouais à Hawkesbury et de me diriger vers Québec, puis vers le Bas du fleuve, jusqu'aux pointes de la Gaspésie et, ultimement, en région acadienne du Nouveau-Brunswick… sans me raser, parce que je voulais revenir avec une barbe… pas pour me donner un air contestataire, simplement parce que je n'aimais pas les rasoirs…

Comme je n'avais jamais fait de l'auto-stop, je ne savais pas trop à quoi m'attendre en cette matinée de juillet… Je me voyais déjà en train de rentrer à la maison le soir même, avec un vilain coup de soleil, ayant vu passer des milliers de voitures et de camions sans qu'un seul ne s'arrête pour me cueillir… Ou pire, accepter un lift de malfaiteurs qui me prendraient mon sac à dos et mon argent… Et je n'avais comme protection qu'un couteau de chasse qui me faisait peur rien qu'à le regarder…

Mais je ne suis pas revenu à domicile bredouille. Le premier soir, j'avais déjà roulé dans six véhicules et je m'arrêtais à Saint-Roch-de-l'Achigan, entre Saint-Jérôme et Joliette, pour ma seule nuit dans une maison - invité par la famille d'un de mes collègues au Droit. En me saluant, le lendemain matin, M. Dugas m'avait dit ne pas trop comprendre pourquoi je voudrais me promener avec 25 kilos de bagages sur le dos… Je ne comprenais pas trop moi-même… C'était nécessaire...

Le lendemain, déjà aguerri et plus confiant dans la crédibilité de mon pouce droit, mon périple a véritablement pris son envol (façon de parler). Après cette deuxième journée, où un sexagénaire, ancien combattant de la Guerre civile espagnole (1936-39), avait passé quelques heures à me raconter sa lutte perdante contre Franco et les fascistes, je crois que j'aurais pu continuer à faire du pouce pour des mois et des mois… en espérant des échanges aussi enrichissants avec d'innombrables étrangers.

Mais à la longue, les conversations deviennent répétitives, les gens voulant toujours (et à juste titre) en savoir davantage sur cette jeune personne mal rasée qui ne semble viser aucune destination précise et qu'ils embarquent dans leur voiture… Par contre, le paysage, lui, change constamment. Je n'avais jamais vu le fleuve en aval de Québec. Resté sur la rive nord pour visiter Charlevoix, j'ai pris le traversier de Saint-Siméon à Rivière-du-Loup… où déjà, le Saint-Laurent, c'est la mer…

J'avais commencé à découvrir les «joies» de coucher sous la tente… une autre expérience nouvelle pour moi, pur citadin… J'ai d'ailleurs pu vérifier l'imperméabilité de mon équipement dès la deuxième nuit, à l'ombre de la cathédrale de Sainte-Anne de Beaupré, sous une série de violents orages…

Les 20 et 21 juillet, j'ai rodé dans la région de Gaspé, puis à Percé où régnait une activité fébrile en cet été 1970, deux mois et demie après l'élection de Robert Bourassa et quelques mois avant les événements qu'on appellerait la crise d'octobre. Des jeunes, plus ou moins de mon âge, y distribuaient des journaux sympathiques au FLQ, que je regrette de ne pas avoir conservés…

Quelques jours plus tard, au Nouveau-Brunswick, après avoir servi d'interprète entre un Acadien unilingue français et un vendeur de camion unilingue anglais, j'ai poussé une pointe jusqu'au long, long, long village de Caraquet, dans la péninsule acadienne. Ce fut la limite est de mon aventure. Il était temps de revenir sur mes pas, et le seul souvenir matériel qui me reste, à part la carte routière, c'est un exemplaire du mensuel de Caraquet, Le voilier, numéro de juillet 1970…



Sur le chemin du retour, une barbe rousse avait poussé sous mes cheveux bruns… À force de marcher avec quelques douzaines de kilos d'équipement sur le dos, j'étais aussi en excellente forme… et je me souviens d'avoir couru 4 km pour arriver à l'heure au traversier de Rivière-du-Loup… Si j'essayais ça aujourd'hui, on me transporterait à l'hôpital après une centaine de mètres...

Il m'est arrivé de rencontrer d'autres auto-stoppeurs, tel ce couple à La Malbaie, en revenant, agressé par un groupe de durs à cuire. Le garçon, immobilisé à la pointe d'un couteau, avait dû assister impuissant au viol de sa copine… Comme on les avait menacés de mort s'ils allaient à la police, ils se demandaient ce qu'ils devaient faire… Je crois que c'est là que j'ai décidé d'arrêter à Québec et de prendre le train pour revenir à Ottawa, chez moi…

Comme j'ai dû utiliser toute ma réserve de fonds pour acheter le billet de train du lendemain (départ vers 6 heures du matin, je crois), j'espérais dormir sur un banc à la gare… Mais non, on fermait les portes en fin de soirée. La nuit, je l'ai finalement passée sur un banc public de la terrasse Dufferin, à repousser les avances de gais… Faut croire que c'était un lieu qu'ils fréquentaient à l'époque… J'ai peu dormi…

Fin juillet, j'étais de retour au travail… plein de souvenirs, d'images des routes québécoises, du fleuve, de la mer, des villages, de la quarantaine d'individus et de familles avec qui j'avais voyagé pendant deux semaines… et avec ma barbe rousse, que j'ai gardée jusqu'à qu'elle blanchisse trop, en 1997… heureux d'avoir complété mon périple, et jurant de ne plus jamais recommencer…

Dommage qu'on n'ait pas eu à l'époque Internet, Facebook et Twitter, j'aurais davantage de photos et de textes pour revivre cette petite aventure… Mais c'était en l'an 1970… 




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