lundi 25 juillet 2016
Canada, Lettonie, Ukraine…
Si jamais, un jour, le Québec décidait de protéger la langue française dans le cadre d'un État indépendant, et que la France accédait à sa demande d'y stationner quelques bataillons pour contrer une perception de menace des deux grandes fédérations anglo-américaines qui le cernent, le Canada sera bien mal placé pour crier à la vierge offensée…
En effet, ces jours-ci, des troupes canadiennes sont déployées en Lettonie et en Ukraine, deux ex-membres de l'ancienne fédération soviétique qui volent désormais de leurs propres ailes et qui luttent depuis plusieurs décennies pour assurer la pérennité de leur langue nationale - le letton d'une part, et l'ukrainien de l'autre - contre l'envahissement du russe.
Évidemment, le motif officiel de la présence militaire canadienne n'a rien de linguistique, mais tout de même… Justin Trudeau a repris à son compte l'attitude guerrière de son prédécesseur, Stephen Harper, à l'endroit de Moscou, accusé d'être un fauteur de trouve et un aventurier dans certains secteurs de l'ancienne zone d'influence soviétique… On a notamment à l'esprit l'occupation brutale de la péninsule de Crimée, entre autres…
Cependant, derrière les fanfaronnades du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, et du premier ministre débarrassé de son déguisement peace and love, l'enjeu de la langue continue de bouillonner. Et en Lettonie comme en Ukraine, les liens avec la situation québécoise dépassent largement les comparaisons théoriques que pourraient élaborer des chercheurs en science politique.
On n'a qu'à songer aux deux mandats à la présidence de Lettonie de Mme Vaira Vike-Freiberga (1999-2007). Québécoise d'adoption, ancienne professeure à l'Université de Montréal, récipiendaire de l'Ordre national du Québec, elle avait fait adopter dans son pays une loi semblable à la Loi 101 pour protéger le letton contre le russe. Pire, Mme Vike-Freiberga parle cinq langues mais pas le russe, qu'elle baragouine un peu à la Pauline Marois quand cette dernière s'aventure en anglais…
Dans un pays où 30% de la population est russophone et où la plupart des Lettons comprennent ou parlent le russe, l'indépendance a permis de rétablir la situation de la langue nationale. Les militaires canadiens qui séjournent dans ce pays balte ne font pas seulement un pied de nez aux ambitions militaires de Poutine et compagnie. Ils protègent aussi l'indépendance d'un ancien État fédéré et sa langue contre le puissant voisin dominateur…
L'Ukraine vit sous un régime de tensions linguistiques tout aussi vives. Après 70 ans sous le joug de Moscou, une forte proportion des Ukrainiens parle le russe et au début des années 1990, on disait la culture ukrainienne plutôt anémique. Là, l'indépendance ne semblait pas avoir rétabli la dynamique linguistique en faveur de l'ukrainien, mais depuis le conflit militaire avec la Russie et la perte de la Crimée, suivi de l'engagement accru de l'OTAN, la situation change.
Fait à noter, les quelque 200 militaires canadiens déployés en Ukraine sont tous des francophones du régiment Royal 22e, de Valcartier. Ils ne sont sûrement pas insensibles, étant originaires du Québec, au dilemme linguistique de leurs collègues ukrainiens, qui mènent un combat inégal contre un voisin géant. J'ai peine à croire qu'on n'ait pas abordé le débat linguistique québécois dans les échanges avec les militaires et civils de l'Ukraine…
À la mi-juillet, le premier ministre Trudeau est allé assister à des manoeuvres militaires en Ukraine, et a déclaré que le Canada avait dû se battre «pour ses valeurs» (on ne sait jamais trop ce que cela veut dire avec Justin Trudeau, mais enfin…) et que les soldats canadiens aideraient les Ukrainiens à défendre leur intégrité territoriale et la démocratie. On suppose que la langue ukrainienne fait aussi partie de ces valeurs que l'ancien État membre de l'Union soviétique protège avec son indépendance…
Quoiqu'il en soit, le Canada joue un drôle de rôle, se trouvant à protéger des langues et des cultures menacées dans l'ancienne fédération, et qui ont trouvé leur salut dans l'indépendance. Les souverainistes québécois feraient bien de prendre des notes et de préparer leurs argumentaires pour les lendemains d'un référendum ou d'une élection référendaire gagnants…
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