jeudi 21 juillet 2016

Langues officielles: le brouillard...


Quand vient le temps de sonder la population sur les orientations fédérales en matière de langues officielles, le gouvernement de Justin Trudeau apparaît malheureusement comme un clone de son prédécesseur, Stephen Harper… On «consulte» des porte-paroles d'organismes présélectionnés dans quelques douzaines de localités à travers le pays, et on lance en pâture au grand public un sondage Internet conçu en fonction d'on ne sait trop quoi… dont les résultats pourraient ne jamais être connus.

Seule l'appellation de la démarche semble avoir changé. Quand l'ancien ministre harpeurien du Patrimoine canadien, James Moore, avait entrepris sa «consultation» pour la période 2013-2018, on parlait de «feuille de route» pour les langues officielles. Avec Mélanie Joly, en 2016, c'est devenu un «plan d'action» (bit.ly/1Qc8K3n ) des langues officielles, sans échéance précise… On le dit «pluriannuel»… Pour le reste, on croirait presque à un exercice de copier-coller. On reprend l'itinéraire bleu, repeint en rouge…

L'intérêt pour ces «tables rondes» de consultations, qui ont débuté le 20 juin à Alfred (Ontario) et se sont poursuivies jusqu'au début de juillet dans sept villes (St. John's, Waterloo, Toronto, Victoria, Winnipeg et Regina), oscille entre «faible» dans les médias francophones hors-Québec et «quasi nul» dans les milieux médiatiques du Canada anglais et du Québec… du moins jusqu'à maintenant. On peut donc en déduire que l'immense majorité du public québécois et canadien ignore tout de l'affaire…

Les consultations reprendront au début du mois d'août à Sherbrooke, puis dans les Maritimes, mais rien ne laisse entendre qu'elles grimperont au palmarès des manchettes pan-canadiennes. Le fait que plus d'un milliard de dollars en fonds publics soit dans la cagnotte, et que l'ADN linguistique du pays puisse être remis en question, ne semble pas devoir secouer la torpeur des effectifs ayant survécu aux coupes répétées dans nos salles de rédaction… Cela fera l'affaire du gouvernement Trudeau, qui pourra, sans être scruté, entreprendre de re-cuisiner la fibre linguistique du Canada à sa sauce multiculturelle...

Pendant que les grandes oligarchies médiatiques rendent de plus en plus inoffensives leurs salles de nouvelles dégarnies, une population tenue dans l'ignorance devient un terreau fertile pour la propagande  d'un chef de gouvernement adulé et de son équipe auréolée… De fait, y a-t-il un seul (une seule) journaliste qui ait analysé et commenté le contenu du sondage que Patrimoine canadien propose aux sujets canadiens d'Elizabeth Windsor? Faudrait. C'est très instructif.

Les questions, dans ce sondage, brossent le tableau d'un pays inexistant, où deux majorités miroirs, une anglaise (dans neuf provinces et trois territoires) et l'autre française (au Québec), ont chacune leurs minorités de langue officielle, la situation des francophones hors-Québec étant en quelque sorte le reflet de celle des Anglo-Québécois. C'est de la bouillie pour les chats. En réalité, le français reste la seule langue officielle en péril, dans toutes les provinces y compris le Québec, et les Anglo-Québécois ont été (et restent) bien plus choyés que les minorités acadiennes et canadiennes-françaises.

Le questionnaire plus détaillé qui suit le sondage général contient des suggestions erronées et insidieuses. Parmi les pistes d'action fédérale proposées pour répondre aux besoins des anglophones du Québec, on inclut «l'adoption de lois et règlements pour appuyer et encourager le respect des droits des Anglo-Québécois»… Ne laisse-t-on pas entendre ici que les droits des Anglo-Québécois n'ont pas été respectés et que le fédéral pourrait intervenir pour rappeler le Québec à l'ordre? Le sondage ne suggère rien de tel pour aider la francophonie hors-Québec…

Le libellé des questions sur la diversité et le multiculturalisme invite presque les répondants à mettre en doute les valeurs traditionnellement associées aux deux langues officielles du pays. Que faut-il penser quand on demande au public son niveau «d'accord» ou de «désaccord» avec l'énoncé suivant: «Le fait d'avoir deux langues officielles, le français et l'anglais, favorisent (sic) l'ouverture des Canadiens aux autres cultures.» Et on relance tout de suite après avec cette question: «Quel(s) rôle(s) devrait-on donner aux autres langues que le français et l'anglais (langues autochtones et langues d'immigration)?»

De là à croire qu'on prépare à la dualité linguistique le sort que Trudeau père avait réservé jadis au biculturalisme, il n'y a qu'un pas… vite franchi avec un Justin Trudeau…

Ailleurs dans le sondage, on se retrouve devant cette affirmation abracadabrante: «Les langues officielles rayonnent aux quatre coins du pays grâce aux Canadiens bilingues, mais aussi grâce aux nombreuses communautés de langue officielle en situation minoritaire que l'on retrouve dans toutes les provinces et territoires.» Précisons d'abord que les francophones hors Québec, massivement bilingues, font partie des «Canadiens bilingues», comme les Anglo-Québécois qui connaissent le français. Ils ne s'y ajoutent pas comme semble l'indiquer l'énoncé.

Mais le pire, c'est le fondement même de la déclaration. Plus de 22 millions de Canadiens ne connaissent qu'une langue officielle, l'anglais: peut-on sérieusement affirmer qu'ils ne contribuent pas au rayonnement de cette langue eux aussi? Ce privilège serait réservé aux anglos bilingues? Et que dire des quatre millions de francophones unilingues du Québec… Ne font-ils pas rayonner la culture et la langue françaises… l'autre langue officielle? Ne serait-il pas utile aussi de mentionner que des 5 800 000 Canadiens bilingues, près de 3 millions et demi sont de langue maternelle française?

Si votre intention est d'utiliser ce sondage pour faire connaître une opinion qui sort du moule imposé par les stratèges de Patrimoine canadien, vous aurez des problèmes...

Entre-temps, la ministre Mélanie Joly et sa suite continueront de rencontrer les gens qu'ils ont eux-mêmes invités aux tables rondes, pour entendre les mêmes litanies de plaintes et de demandes qu'à l'époque des années Harper et même avant… Et les médias, faute d'effectifs ou de volonté, continueront  de feindre d'ignorer l'existence des consultations sur les langues officielles ou publieront, de temps à autre, quelques trop brefs paragraphes sur la présence de Mme Joly et sa troupe dans les parages…

…………….

«Bon ben bonsoir là
Vous vous r'prendrez
Comptez pas itou

Parce que nous autres
On est pas sorteux…»


- La parenté, Jacques Labrecque, bit.ly/2a4sYLT

2 commentaires:

  1. Bien dit...une fois de plus! Texte qui mériterait que Justin, Mélanie et compagnie s'y attardent. Mais ces bilingues qui baragouinent le français ne le feront pas, obnubilés qu' ils sont par un pays imaginaire.

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  2. « La carte du bilinguisme au Canada. Maintenant, dites-moi qui apprend la langue de l'Autre ? » - Gilles Laporte

    Dans le Nord de l'Ontario et au NB : le bilinguisme est attribuable à ceux d'origine francophone. On appelle aussi cela l’assimilation ou le génocide culturel ! La brisure entre Ottawa et Gatineau est éloquente !

    https://www.facebook.com/#!/photo.php?fbid=719769664725649&set=a.204716562897631.45517.100000778671459&type=1&theater

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