mardi 31 mai 2016
Chère Gisèle Lalonde
Chère Mme Lalonde,
Je ne vous connais pas, personnellement comme on dirait, mais à force de lire les textes de votre neveu-chroniqueur Denis Gratton, sans oublier toutes ces années où j'ai eu pour collègue votre autre neveu-journaliste, Michel Gratton, j'ai parfois la sensation - ainsi sans doute que bien d'autres militants et ex-militants des causes franco-ontariennes - d'avoir avec vous quelque lien de parenté.
Dans cet Ontario français souvent désespérant, où bien trop de soi-disant dirigeants ont trempé dans la compromission et la collaboration avec ceux et celles du pouvoir qui étaient francophiles à la veille d'élections, mais guère après, vous n'avez pas craint de briser des silences et de monter aux barricades quand il le fallait. J'ai toujours aimé cette stratégie de coeur et de courage.
Le combat pour sauver l'hôpital Montfort marquera à jamais votre parcours. Pendant que certains manoeuvraient en coulisses, en couleuvres, vers des demi-solutions qui auraient sonné le glas de l'institution, vous étiez sur la ligne de front, coordonnant et activant à la fois un mouvement de résistance populaire et juridique. On n'avait rien vu de tel depuis le Règlement 17, et vous avez pleinement droit aux hommages qui vous ont été et qui vous seront rendus.
J'ai appris ce matin, par votre neveu-chroniqueur au quotidien Le Droit, que l'Université d'Ottawa vous décernera un doctorat honorifique le 18 juin, sans doute pour l'ensemble de votre carrière mais très certainement en partie pour votre rôle dans la saga Montfort, entre 1997 et 2001. Je m'en réjouis comme lui, et vous transmets mes plus sincères félicitations. Vous le méritez, cet hommage universitaire!
Je sais que ce sera fort probablement un moment consacré aux remerciements et aux mots de circonstance, comme cela se doit lors d'une collation des grades. Pour les étudiants et étudiantes comme pour les invités de marque, c'est le plus souvent une occasion de sourires et de photos, et d'éloges pour les réalisations. Une pause avec des amis, proches et collègues avant de retourner aux défis de la vie.
Cependant, ne serait-il pas tentant de saisir au bond cette opportunité, pour monter une fois de plus au combat. Si vous refusez, je ne vous en voudrai pas. Vous avez déjà fait plus que votre part, et personne ne pourrait vous reprocher de passer votre «âge d'or» dans la sérénité, loin des embrouilles. Et pourtant, vous serez bientôt devant l'élite de l'Université d'Ottawa, et elle est au coeur d'une des dernières luttes issues du Règlement 17.
Votre neveu Denis écrivait que l'invitation à la collation des grades (celle qu'il a reçue) provenait du chancelier Calin Rovinescu et du recteur Allan Rock… Si le doctorat honorifique, en soi, relève du pur bonheur, le fait de le recevoir d'un de ces deux personnages, ou des deux - surtout en hommages à vos combats franco-ontariens - ajoute une saveur douce-amère.
Vous savez que les jeunes Franco-Ontariens ont repris depuis quelques années, avec l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario et d'autres alliés, la campagne historique en faveur de la création d'une université de langue française en Ontario. C'est tout ce qui manque à l'Ontario français pour que la collectivité exerce une gouvernance plus ou moins complète sur ses institutions éducatives.
Or, au-delà des obstacles politiques à Queen's Park, et ils sont nombreux, l'Université d'Ottawa sous Allan Rock a sonné la charge contre le projet universitaire franco-ontarien. Le recteur sortant est allé jusqu'à écrire, dans les pages du Droit, que les francophones de l'Ontario n'ont pas besoin d'université, qu'ils l'ont déjà, et qu'elle s'appelle l'Université d'Ottawa. Il en a, du culot!
Après toutes les études démontrant l'effet néfaste de ces institutions pour les Franco-Ontariens, on s'est défait des écoles primaires, secondaires et collégiales bilingues. Vous n'auriez jamais accepté un hôpital Montfort bilingue. Il faudrait qu'on rappelle certaines vérités à ce recteur, dont l'administration n'a même pas voulu d'un drapeau franco-ontarien géant au coeur du campus pour ne pas offusquer les anglophones majoritaires…
Vous pourriez aussi lui chuchoter à l'oreille qu'il est un peu scandaleux, pour «l'université des Franco-Ontariens» et pour sa mission de promotion de la francophonie, d'avoir nommé Calin Rovinescu chancelier, lui qui, comme chef de la direction d'Air Canada, essuie blâme sur blâme, après après année, du Commissaire aux langues officielles pour ses manquements à l'égard du français.
Au sein des élites traditionnelles franco-ontariennes, personne n'est monté sur une tribune publique pour frotter les oreilles des dirigeants du monstre sacré bilingue de la Côte-de-sable; pour leur dire, à MM. Rock et Rovinescu, qu'ils ne font pas partie des projets d'avenir de l'Ontario français. Et qu'un jour, peut-on espérer, les doyens et doyennes de nos guerriers pourront recevoir aussi des doctorats honorifiques d'une université qui hisse bien haut, au mat central du siège social, le drapeau vert et blanc.
Si vous ne dites rien de tout cela, je n'aurai rien à redire. Je conserverai pour vous le plus grand respect. Au coeur du combat, vous étiez sur les barricades. Cela suffit. Ceux et celles qui, comme moi, ne furent à l'époque que sympathisants, n'ont qu'à s'incliner. Encore une fois, chère tante de Denis et Michel, félicitations!!!
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