Parfois il faut sursimplifier pour éclaircir un débat, pour en exposer le coeur et les entrailles. Alors je me risque et j'arrondis les coins, comme on dit, conscient d'une réalité bien plus complexe, dans l'espoir de présenter mon point de vue de façon cohérente dans un texte suffisamment concis pour que ses quelques lecteurs et lectrices s'accrochent jusqu'au dernier paragraphe…
Trois députés du Parti québécois ont ressuscité l'option du beau risque, d'un fédéralisme renouvelé, dans l'espoir de mettre fin au statu quo (cul-de-sac?) constitutionnel actuel. Sans même tenter d'imaginer la complexité des tours de passe-passe requis pour faire avaler ça aux membres du Parti québécois et à ses alliés potentiels, ils font face à deux obstacles infranchissables:
1. En face des indépendantistes-souverainistes-séparatistes-solidaires-nationalistes-et-autres-istes-très-autonomistes, on présuppose l'existence de forces fédéralistes. Elles n'existent pas. Zéro.
Je m'explique. À l'extérieur des départements universitaires de science politique, le fédéralisme en soi n'intéresse à peu près personne. Surtout pas les politiciens. Ce qu'on appelle fédéralisme est essentiellement une construction théorique, inventée pour expliquer des sociétés qui répartissent le pouvoir de gouverner entre un État central et des États membres, chacun étant souverain - plus ou moins - dans ses domaines de compétence.
C'est la société qui est «fédérale» au départ, et l'État n'en est que le reflet. Le degré d'autonomie des États membres, comme le degré de centralisation, dépend de la réalité sociale, du vécu de ses citoyens, de ses collectivités, ou encore de ses nations s'il s'agit, comme le Canada, d'un État multinational. Si l'arrangement constitutionnel ne satisfait pas l'une des composantes, qui s'estime brimée, il finit par arriver ce qui est arrivé chez nous, au Québec.
Depuis la Confédération, il y a toujours eu des factions indépendantistes ou fortement autonomistes au Québec, mais elles ne sont devenues acteurs principaux que depuis la Révolution tranquille. En face, on trouve - au Québec et au Canada-hors-Québec - des opposants à ce projet souverainiste. Des anti-séparatistes. Mais de vrais fédéralistes? Intéressés à améliorer l'édifice constitutionnel dans l'esprit du fédéralisme théorique tel que l'enseignent les profs d'université? Ça n'existe pas!!!
Proposer un renouvellement du fédéralisme pan-canadien à un bloc plus ou moins monolithique d'anti-séparatistes pour qui le moindre compromis constitutionnel constitue un pas de plus vers une éventuelle indépendance du Québec, c'est perdre royalement son temps!
2. Secundo, ce beau-risque-version-2016 - en supposant qu'il rallie l'auditoire visé par Nicolas Marceau et ses collègues - doit être présenté à quelqu'un, mais à qui? La nation québécoise a son État (ou demi-État) mais la Canadian nation n'a aucun porte-parole attitré.
Faut-il rappeler aux tenants d'un nouveau-beau-risque que le gouvernement canadien ne peut prétendre négocier au nom du reste du pays. Il a nettement un ascendant, surtout quand il a à sa tête un brillant autoritaire dogmatique comme Pierre Elliott Trudeau, mais les provinces conservent leur part de souveraineté dans leurs domaines de compétence et à ce titre, demeurent, tout au moins en principe, des joueurs égaux à Ottawa autour d'une table constitutionnelle.
Également, l'État fédéral - même s'il était désigné comme porte-parole par les autres provinces à majorité anglophone, hypothèse plus qu'improbable - demeure une structure qui représente aussi les Québécois dans les domaines de compétence fédérale. On a vu ce que cela a donné par le passé. René Lévesque ne négociait pas avec des anglos désignés pour représenter la nation anglo-canadienne, mais avec les Trudeau et Chrétien, ou encore Mulroney… Des chicanes de famille…
Le Canada anglais ne veut pas l'avouer, lui-même torpillé dans son identité traditionnelle par un multiculturalisme tous azimuts, mais il devra un jour se poser la question de son existence «nationale», à moins qu'une éventuelle assimilation de la nation francophone ne vienne régler son problème. Dans un ultime face-à-face pour sauver le Canada de l'éclatement, nous devrons négocier avec «eux», pas avec quelques-uns des nôtres qui leur servent de paravent.
Et cela m'apparaît pour le moment une mission impossible!
Et tiens, pour les fins de l'argument, j'ajoute un troisième obstacle de taille:
3. Au «Canada anglais», disons plutôt au Canada-sans-le-Québec, l'immense majorité ne veut rien savoir de pourparlers constitutionnels, considère que le Québec a déjà plus que sa part du gâteau et ressent une hostilité incrustée (et croissante) envers la langue française…
Étant d'origine franco-ontarienne, y ayant vécu les premières 29 années de ma vie avant de m'installer au Québec en 1975, j'ai depuis longtemps compris que ce qu'on appelle communément le Québec-bashing est d'abord et avant tout du French-bashing. On «bash» le Québec parce qu'il est français, et qu'à ce titre, il réclame des pouvoirs constitutionnels jugés nécessaires à la protection et à la promotion de la langue française.
La preuve? Les minorités canadiennes-françaises et acadiennes ont été victimes de persécution, parfois ouverte, souvent larvée, dans toutes les provinces où les anglophones sont majoritaires depuis l'entrée en vigueur du pacte fédératif en 1867. Et en dépit de centaines de milliers d'Anglo-Canadiens de bonne volonté, dans le style Canadian Parents for French, la majorité reste hostile aux francophones et à leurs revendications. Les médias anglos en deviennent parfois hystériques et haineux.
Après plus de 50 ans d'efforts et de cris dans le désert des commissaires aux langues officielles, le français fait peu de progrès chez les anglos hors-Québec. Il est même en recul. Au Québec même, les divisions sont d'abord et avant tout linguistiques. Les anglophones, allophones anglicisés et francophones assimilés à l'anglais forment un bloc quasi monolithique d'allégeance libérale et partisan d'un éventuel «non» référendaire.
Face à la proposition de Nicolas Marceau et compagnie, il n'y aura pas cette fois de love-in…
Le mot de la fin. Dans son Renvoi sur la sécession de 1998, la Cour suprême a énoncé la seule stratégie possible pour régler cette question. Face à un «oui» clair, en réponse à une question claire sur l'indépendance, le Canada anglais n'aura pas le choix: il devra se présenter à la table des négociations… C'est à nous de prendre la décision. Notre souveraineté n'est pas négociable, elle nous appartient. Des négociations suivront si nous décidons collectivement d'exercer pleinement cette souveraineté. Offrir au Canada anglais un ultime arrangement pour qu'il nous le renvoie en pleine face, sachant d'avance qu'il le fera, n'est-ce pas tout simplement un faux-fuyant?
Bonjour Monsieur Allard,
RépondreSupprimerJe lis régulièrement vos textes avec beaucoup d'attention et d'intérêt. Je partage vos opinions et, principalement au cours de la dernière année, j'en suis arrivé à cette conclusion que JAMAIS nous ne réussirons à conserver notre langue, le français, en continuant de faire partie du Canada.
J'ajouterais même, bien au contraire, il nous est facile de réaliser que depuis 2003, le PLQ a bifurqué par choix en trompant les québécoises et les québécois pour les amener vers l'assimilation malgré eux.
Comme Monsieur Péladeau, pour des raisons qui lui appartiennent, n'a pas réussi à faire du Québec un pays, nous devrons nous rallier dernière LA SEULE personne qui pourrait nous aider à obtenir notre indépendance, MARTINE OUELLET. Il n'y a plus de temps à perdre, nous en avons déjà assez perdu depuis 1995.
Gilles