Graham Fraser (image Radio-Canada)
Le rapport spécial du Commissaire fédéral aux langues officielles Graham Fraser sur Air Canada, s'ajoutant à son dixième et ultime rapport annuel, rendu public il y a quelques semaines, démontre noir sur blanc l'impossibilité de faire progresser le français au Canada quand les décideurs de la majorité anglophone s'y refusent…
De fait, ces deux documents - qui suscitent peu d'intérêt et qui vont rapidement se poussiérer sur une des multiples tablettes fédérales - pourraient devenir de véritables livres de chevet, que tout partisan d'un Québec français (et/ou indépendant) aurait avantage à lire, décoder et vulgariser. Dans l'argumentaire qui en résulterait, le 10e rapport annuel de M. Fraser serait le marteau; celui sur Air Canada, le clou…
Que conclut-il au juste, ce rapport annuel 2015-2016, fruit mûr d'une décennie de labeurs linguistiques incessants? Avis aux lunettes roses du «beau-et-grand-bilingue-pays-qui-inclut-nos-Rocheuses», les verdicts de M. Fraser pourraient ne pas convenir à tous vos auditoires… Ses occasionnels rires et sourires sont plus jaunes que rosâtres...
Première leçon, durement apprise… «Une minorité demeure une minorité, et la majorité n'est jamais naturellement sensible à ses besoins.» Ce qu'il faut comprendre ici, puisque le Commissaire parle toujours de «langues officielles», c'est que la minorité, ne détenant pas le pouvoir, doit constamment revendiquer, quémander ses droits linguistiques auprès d'une majorité insensible qui, elle, par la force du nombre, peut prendre les décisions qui lui conviennent.
Le sort réservé aux minorités canadiennes-françaises et acadiennes par les majorités anglo-canadiennes de neuf provinces en témoigne avec éloquence. Et à ceux du Québec qui voient un appui dans cette règle de la majorité, détrompez-vous. Comme la Cour suprême l'a noté à l'occasion, les francophones du Québec sont minoritaires dans l'ensemble du pays et en Amérique du Nord. Les soubresauts de rébellion comme la Loi 101 ont appelé en représailles la nuit des longs couteaux ainsi qu'un charcutage juridique des dispositions les plus irritantes pour la majority.
Deuxième leçon, après 10 ans sur le terrain… Défendre et promouvoir le français en milieu minoritaire (et cela inclut le Québec comme composante du grand tout canadien), c'est «comme gravir à contresens un escalier roulant: l'immobilisme entraîne un recul». M. Fraser a compris que le milieu Canadian et nord-américain n'est pas un environnement neutre pour les francophones du nord-est du continent; les avant-postes à l'extérieur du Québec sont les plus menacés, mais les palissades s'effritent aussi autour du bassin du Saint-Laurent…
Présentement, au Québec comme ailleurs au Canada, c'est tout au mieux l'immobilisme, ce qui, selon le principe du Commissaire aux langues officielles, «entraîne un recul». En Ontario, le gouvernement refuse toujours de créer une université de langue française digne de ce nom après 45 ans de demandes… dans l'indifférence générale. Au Québec, on a un gouvernement froussard qui craint de franciser les immigrants tout en voulant que tous les jeunes francophones apprennent l'anglais… Et l'escalier roule à contresens…
Troisième leçon (on se limitera à trois, mais il y en a d'autres dans ce rapport annuel)… Depuis 2006, M. Fraser essaie de passer au Canada anglais le message que la dualité linguistique (comprendre le français…) est «une valeur plutôt qu'un fardeau». Le fait qu'il essaie toujours après une décennie en dit long sur son succès auprès de la majority. Non seulement les Anglo-Canadiens majoritaires restent-ils insensibles aux besoins des collectivités francophones et de la nation québécoise, mais ils ne valorisent pas la promotion de la langue et de la culture françaises…
Oh, bien sûr, il y a Canadian Parents for French, mais son influence est loin d'être déterminante. Le taux de bilinguisme baisse chez les anglos-hors-Québec. Les centaines de milliers d'enfants qui fréquentent l'immersion française n'utilisent pas leurs nouvelles connaissances et finissent par les oublier peu à peu. La majority n'écoute pas notre musique, ne lit pas nos auteurs, n'achète pas nos journaux et magazines, ne s'adresse pas en français dans les commerces et institutions. Le «fardeau» du français, pour ceux qui le portent, s'allège au fil des ans, n'ayant aucune valeur…
Ces trois leçons trouvent leur pleine expression dans le rapport spécial qu'a pondu ces jours derniers le Commissaire Fraser, au sujet d'Air Canada. Majorité insensible, immobilisme, escalier roulant à contresens, le français comme fardeau, tout y est… et plus! Air Canada est devenu ce «clou» que Commissaire après Commissaire tente d'enfoncer depuis 45 ans, sans succès. De Keith Spicer à Graham Fraser, ils ont martelé le même message, qui s'écrase à chaque fois comme un insecte sur un mur de béton…
Je cite ici M. Fraser dans une entrevue à Radio-Canada, entendue à l'émission du matin de 90,7 FM, la station d'Ottawa-Gatineau du réseau public. «Après des centaines d'enquêtes et de recommandations, après une vérification exhaustive et après deux recours dont l'un jusqu'à la Cour suprême, force est de constater que mes multiples interventions tout comme celles de mes prédécesseurs n'ont pas donné les résultats souhaités», déclare-t-il. Des «centaines» d'enquêtes et de recommandations??? Combien en faut-il pour obtenir des résultats?
À la lumière des trois leçons tirées de son rapport annuel 2015-2016, des milliers d'enquêtes et de recommandations ne suffiraient pas… Les décideurs anglophones sont insensibles et majoritaires, ils se réfugient dans l'immobilisme (tout en prétendant faire des efforts louables) et voient le français comme un fardeau qui, par surcroit, n'est pas imposé aux autres transporteurs aériens… Le marteau va se briser d'usure avant que le clou ne s'enfonce d'un seul millimètre...
Air Canada subit-elle l'opprobre du public pour ses manquements à l'égard du français? Non. Quand un couple franco-ontarien a poursuivi le transporteur «national» pour ne pas avoir été servi en français à bord d'un de ses avions, ce sont ces deux francophones qui ont subi un torrent de colère haineuse d'une partie appréciable du public anglophone, par le biais des médias…
Et le PDG d'Air Canada depuis 2009, Calin Rovinescu, a-t-il été réprimandé, condamné, fustigé? Pantoute… L'Université d'Ottawa, que le recteur Allan Rock appelle pompeusement «l'université des Franco-Ontariens», une université ayant une mission spéciale de promotion du français en Ontario, cette université a confié son poste prestigieux de chancelier au PDG d'Air Canada.
Dans quelques jours (à la mi-juin), il remettra les diplômes à près de 8000 étudiants et étudiantes de l'Université d'Ottawa, dont 30% seront francophones… Une insulte…
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Mais ne vous inquiétez pas… les médias feront comme d'habitude avec les rapports de M. Fraser. Quelques petits reportages, un éditorial ça et là (dans les médias de langue française, et même là…), suivis d'un éternel et assourdissant silence. Et c'est bien pire au Canada anglais, où de nombreux médias n'ont même pas fait état des rapports du Commissaire Fraser.
L'ancien chef de cabinet de Brian Mulroney et grand acteur des négociations autour de l'Accord du Lac Meech dans les années 1980, Norman Spector, a lâché ce commentaire percutant après avoir lu le court texte publié en page B6 du Globe and Mail sur le rapport spécial au sujet d'Air Canada:
«If Canada's national newspaper stuffs this on B6, one might conclude that ROC (rest of Canada) doesn't give a shit…»
Amen!
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