Aux États généraux (j'étais présent aux assises de 1967, à Montréal, comme délégué franco-ontarien), une minorité appréciable de participants hors-Québec a voté en faveur de la résolution clé de l'assemblée, celle affirmant le droit à l'autodétermination de la nation canadienne-française par l'entremise de son État national, le Québec. Dans la délégation ontarienne, plus du tiers (35%) ont voté «oui». Ce n'est pas négligeable. Chez les Acadiens, le «oui» était même majoritaire à 52%…
Ce sentiment pro-Québec était surtout palpable chez les jeunes Franco-Ontariens. «La plupart d'entre nous venions de terminer nos études universitaires, expliquait en 1997 Rémy Beauregard*, devenu par la suite président de la Commission des droits de la personne de l'Ontario. On avait fréquenté des collègues québécois à l'université, à Ottawa ou à Sudbury. On lisait Le Devoir. (…) On avait subi l'influence de la Révolution tranquille. Lorsque René Lévesque parlait aux Québécois, il parlait aussi à nous.»
Une nouvelle association en voie de création en 1967, l'Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français (APMJOF), «était plus nationaliste (…), plus sympathique aux aspirations du Québec», devait ajouter M. Beauregard. Avec Rémy et d'autres, je faisais partie du noyau fondateur de cette organisation. L'APMJOF aura marqué de sa présence les États généraux du Canada français, notamment en contribuant à garder bien ouverts quelques ponts entre le Québec et l'Ontario français.
communiqué d'octobre 1969 de l'APMJOF...
À cet égard, l'association aura joué un rôle important et elle s'est de nouveau manifestée en 1969, lors de la crise entourant la présentation et l'adoption du Bill 63 par le gouvernement de l'Union nationale sous Jean-Jacques Bertrand. On parle beaucoup, aujourd'hui, des difficultés de francisation des immigrants dans la région de Montréal, mais à l'époque, dans le sillage des conflits à St-Léonard, le climat était plus que volatile. Il était parfois violent.
Le projet de loi 63 (que même les francophones appelaient Bill 63, comme en anglais…) consacrait à toutes fins utiles le libre choix de la langue d'enseignement pour les immigrants au Québec. Ainsi, en dépit d'encouragements à apprendre le français, ils étaient libres de fréquenter les écoles anglaises, avec des conséquences prévisibles pour la francophonie montréalaise et québécoise. Ce projet de loi, fort impopulaire chez les Québécois de langue française, a aidé à précipiter la chute de l'Union nationale aux élections d'avril 1970.
Or, en fouillant dans mes archives franco-ontariennes, j'ai découvert (je ne m'en souvenais plus) que l'APMJOF avait pris position contre le Bill 63 à l'automne 1969. Je cite ici le communiqué, sans doute diffusé en octobre, après l'introduction du projet de loi à l'Assemblée nationale:
«Le bill 63, loin de vivifier la culture française au Canada, n'aura de conséquences que de l'affaiblir et de créer un mouvement d'indignation tant au Québec qu'auprès des groupes francophones du Canada, de préciser le secrétaire général de l'APMJOF, Paul-François Sylvestre. Le gouvernement québécois, soucieux de garantir les droits acquis de sa minorité anglophone, éloignera par le fait même toute possibilité d'autodétermination de la population québécoise française.»
«Vouée à la promotion culturelle des jeunes de l'Ontario français, l'APMJOF s'appuie bien entendu sur le Québec, mais sur un Québec francophone, sur une véritable source de culture canadienne-française. Le bill 63 menace la vie française du Québec et inévitablement celle de l'Ontario français ou de toute autre province canadienne.»
Ces jeunes Franco-Ontariens, loin de s'offusquer devant la montée de l'option souverainiste et d'un mouvement pour l'unilinguisme français, voyaient dans un Québec fort, français et autonome (souverain, même, pour plusieurs) l'une des assises essentielles de la pérennité du français en Ontario, en Acadie et à travers le Canada. Pas surprenant, donc, que l'APMJOF, par l'intermédiaire de son club du livre provincial, ait offert dans la catégorie des livres d'opinion Option Québec, de René Lévesque…
Tout cela fait peut-être partie de la petite histoire d'une autre époque, mais il m'apparaît primordial de ne pas l'oublier, surtout ces jours-ci quand nos journaux et même, parfois, les livres d'histoire ont tendance à trop arrondir les coins, et généraliser à l'excès. Rupture aux États généraux? Au moins quelques ponts entre le Québec et le vieux Canada français avaient survécu...
-------------------
* Les États généraux du Canada français trente ans après. Textes réunis par Marcel Martel avec la collaboration de Robert Choquette, publiés par le Centre de recherche en civilisation canadienne-française de l'Université d'Ottawa, 1997.
Puis avait suivi la Loi 22 de Bourassa avec ses tests linguistiques, Saint-Léonard en crise contre Québec-français. Oui il est impératif de se souvenir de ces événements pour consolider les liens de la francophonie pan-canadienne. Avec Trudeau aux commandes, il est à craindre que cette solidarité ait de nouveau à se manifester en force.
RépondreSupprimerPuis avait suivi la Loi 22 de Bourassa avec ses tests linguistiques, Saint-Léonard en crise contre Québec-français. Oui il est impératif de se souvenir de ces événements pour consolider les liens de la francophonie pan-canadienne. Avec Trudeau aux commandes, il est à craindre que cette solidarité ait de nouveau à se manifester en force.
RépondreSupprimer