Comme personne n'écrit sans commettre d'erreur (personne que je connaisse, en tout cas…), on hésite à reprocher à d'autres ce que l'on risque de faire soi-même, surtout si ces «autres» s'expriment dans une langue qui n'est pas la nôtre. Et pourtant il le faut, parfois, quand l'identité d'un lieu, d'une institution ou d'une personne s'en trouve altérée. Combien de noms de famille ou de localités ont-ils été anglicisés, au Canada et aux États-Unis, parce qu'on a laissé passer la faute d'écriture d'un greffier, d'un agent de recensement ou d'un quelconque fonctionnaire unilingues anglais?
Chez nos voisins du Sud, le français n'a pas d'assise juridique et la politique officielle, c'est le melting pot. Ainsi, au fil des générations, des Boisvert, Leblanc et Lebrun sont-ils devenus des Greenwood, des White et des Brown, sans que l'on ne s'en plaigne trop. Depuis le 18e siècle, Détroit a perdu l'accent aigu d'origine, la célèbre Université Notre-Dame, en Indiana, a largué son trait d'union, et la Nouvelle-Orléans, rebaptisée New Orleans, n'a conservé ni trait d'union ni accent aigu...
Les modifications à ces appellations constituaient peut-être au départ une erreur, mais leur acceptation était révélatrice d'une érosion, puis d'une perte identitaire. Au Canada, et à plus fort titre au Québec où les francophones ont su, jusqu'à maintenant, demeurer majoritaires, la présence historique de collectivités de langue française se double d'appuis juridiques et judiciaires, forts par endroits, faibles ailleurs, mais suffisants pour au moins défendre l'orthographe correcte de noms français quand une majorité anglaise ou une influence extérieure (souvent économique) tentent de les modifier.
La région de la capitale fédérale, un des lieux de collision entre les traditions françaises et anglo-canadiennes, a été témoin de telles situations. L'ancien village d'Orléans, en banlieue est d'Ottawa, était très majoritairement francophone jusqu'aux années 1970, jusqu'à ce que l'étalement urbain ne vienne renverser les proportions, transformant une agglomération canadienne-française de 10 000 habitants en quartier d'environ 100 000 personnes, à plus de 60% anglophone. Et Orléans se met alors à perdre son accent aigu… dans le municipalité, sur les panneaux institutionnels, sur les bannières commerciales...
C'est à cette époque que fut créé le MIFO (Mouvement d'implication francophone d'Orléans) et que la question de l'accent en-voie-de-se-perdre fut soulevée dans la collectivité et au conseil municipal (Orléans faisait partie de Gloucester jusqu'à la fusion avec Ottawa en 2001). L'affaire aboutit finalement à la Commission de toponymie de l'Ontario qui consacre à deux reprises (1990 et 1994), et ce, très officiellement, le caractère obligatoire de l'accent aigu dans l'écriture d'Orléans. Mais entre ça et convaincre les commerces de ne plus écrire «Orleans» (prononcer en anglais Orr-leenss), le combat se poursuit toujours… (voir http://bit.ly/1rIdLVR).
Le cas de «Montréal» n'est pas entièrement réglé, même si, officiellement, la seule façon correcte de l'épeler, c'est avec l'accent aigu. Même chose pour la ville de Québec (pas la province cependant…) qui doit s'écrire avec son «é»… Les anglophones, qui n'ont pas d'accent dans leur langue (sauf pour quelques mots importés d'autres cultures), n'y attachent guère d'importance, ayant longtemps dominé la ville après la conquête. Pour eux, c'est davantage «Mawn-tree-all» que Montréal… Le débat au sujet de l'épellation subsiste même dans la métropole, comme en témoigne ce texte de l'an dernier du Journal de Montréal (voir http://bit.ly/1NnIB0b).
Alors imaginez le peu d'intérêt qu'on peut y accorder dans une ville à 85% anglophone comme Ottawa et dans une province comme l'Ontario. Or la question se pose, parce que dans l'Est ontarien, notamment, il existe à plusieurs endroits des «chemin de Montréal» et des «Montreal Road»… La ville d'Ottawa, pour ce qui est de l'affichage municipal, a opté pour la façon correcte d'épeler Montréal, avec l'accent aigu, même si on semble avoir oublié sur le panneau ci-dessous le point après l'abréviation de chemin (ch.)...
panneau provincial près de la jonction de la 417 et la 174, à Ottawa
panneau municipal d'Ottawa, image Google Streetview
Les panneaux routiers de la province, cependant, continuent de nous infliger des gros «Montreal» sans accent aigu (l'Ontario écrit pourtant Orléans…). Je sais que cela n'intéresse pas grand monde, même chez les francophones, mais cette façon d'écrire Montréal est fautive. Ce n'est pas un anglicisme, c'est une erreur qui, me semble-t-il, doit être corrigée. Si les panneaux routiers de la promenade/parkway Sir John A. Macdonald se lisaient «MacDonald» ou «McDonald», je suis sûr qu'on les corrigerait sans se faire prier… Mais Montreal… bof!
Le cas du boulevard «St. Laurent», une des principales artères nord-sud d'Ottawa, est de loin le pire, mais je n'ai pu trouver de trace de débat au sujet de la manière fautive de l'épeler. Il faudrait écrire St-Laurent ou Saint-Laurent, seules acceptables. Si on avait voulu le nommer en anglais, on aurait indiqué «St. Lawrence Blvd.». C'est ainsi que les anglophones appellent le fleuve et le golfe dans leur langue… Mais non, il s'agit clairement, ici, d'une origine française et les anglos - même ceux d'ici - le prononcent «Laurent» comme en français (sauf pour le «r» bien sûr…).
Alors, il faudrait qu'Ottawa et l'Ontario comprennent qu'en français, l'abréviation de Saint est «St» (sans point après…) et que pour un nom de localité ou de rue, cette abréviation collée à un nom de personne (Laurent par exemple) est suivie d'un trait d'union. Écrire «St. Laurent», c'est commettre une erreur. On massacre déjà assez le français dans notre coin de pays sans qu'on nous lance de grosses fautes officielles en pleine face à tous les coins d'un grand boulevard et sur les autoroutes de la capitale d'un pays qui s'affirme bilingue (mais pas sa capitale…).
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