mercredi 25 mai 2016

Où sont passés les médias?

Le dixième et dernier rapport annuel de l'actuel Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, a été reçu, sauf rares exceptions, dans l'indifférence médiatique la plus totale. La prose du Commissaire a beau être bureaucratique et endormante, cela n'excuse pas la presse parlementaire aguerrie, qui devrait avoir depuis longtemps appris à décoder les messages et à les vulgariser pour le grand public.

Graham Fraser a laissé tellement de pistes et d'indices dans son rapport 2015-2016 qu'il y avait matière à plus d'une centaine de reportages de fond, et au moins une brochette de manchettes percutantes. Et pourtant, dans les salles de rédaction, de l'Atlantique au Pacifique, on n'a rien vu. On ne voulait rien voir, plutôt. Quand les journalistes ne grattent plus sous la surface, le public reste mal informé.

Je n'ai pas l'intention d'éplucher le rapport annuel du Commissaire aux langues officielles d'une couverture à l'autre. Je me contenterai de quelques exemples de bâtons de dynamite à peine dissimulés dans son bilan de 70 pages. Quelques extraits tirés au hasard, chacun pouvant devenir matière à texte avec interviews, commentaires et suivis.

1.  «Peu importe sa nature, une minorité demeure une minorité, et la majorité n’est jamais naturellement sensible à ses besoins. En l’absence d’exigences, de rappels, d’encouragements et d’inspiration, la majorité persistera à ignorer les préoccupations de la minorité.»

Pas besoin de faire des dessins ici. M. Fraser ne parle pas des Anglo-Québécois. Il évoque la situation éternelle des francophones hors Québec, et effleure à la limite le dilemme cent-cinquantenaire des Québécois francophones comme minorité au sein du Canada. Et que dit-il, au juste?

Que la majorité anglo-canadienne n'est «jamais naturellement» disposée à reconnaître les droits linguistiques des francophones. Vous cherchez la bonne volonté? Cherchez ailleurs… Il faudra toujours revendiquer à coups de menaces, d'exigences, de rappels… Et comme «une minorité demeure une minorité», ce ne sera jamais elle qui décidera… Son sort restera entre les mains d'une majorité insensible…

Seuls les francophones du Québec, majoritaires chez eux, ont des leviers décisionnels dans les domaines de compétence que la Constitution leur octroie… Ce discours de M. Fraser est une «claque en pleine face» à toutes les lunettes roses, style Trudeau et Couillard… 

2. «Favoriser la vitalité et la prospérité d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire, c’est un peu comme gravir à contresens un escalier roulant: l’immobilisme entraîne le recul.»

Cette image est saisissante de vérité. Évidemment, ici comme avant, cela n'a rien à voir avec les anglophones du Québec, qui ne roulent jamais à contresens sur leur escalier roulant. Encore une fois, il peint le sombre tableau de la lutte quotidienne des collectivités acadiennes et canadiennes-françaises dans les provinces où elles sont minoritaires.

Pensez-y. À la merci de majorités qui, de l'aveu même du Commissaire, sont insensibles à leurs droits et besoins, elles doivent tout de même «gravir» à contresens leur escalier roulant. Cela leur donne quoi, au mieux? Une sorte d'immobilisme, une relative absence de recul. Mais elles ne montent pas dans cet escalier qui cherche toujours à les entraîner vers le bas, et s'usent à la tâche en essayant de ne pas reculer. Ei si, lasses du combat, elles tombent dans l'immobilisme, c'est la chute…

Les journalistes n'ont pas vu là toute une série de nouvelles et de suivis? Prenez juste la question de l'université franco-ontarienne que le gouvernement Wynne ne cesse de refuser ou de limiter à sa plus simple expression (on n'a jamais rien promis, dit la première ministre…). Selon le jugement du Commissaire, l'immobilisme de Queen's Park dans ce dossier empêche les Franco-Ontariens de gravir leur escalier qui continue de rouler à contresens… 

3. «Le Canada est réellement formé de deux communautés principalement unilingues qui vivent côte à côte.»

Avis aux Couillard et autres assimilateurs de ce monde qui voudraient que tous les Québécois apprennent l'anglais… Selon le Commissaire aux langues officielles, un élément justificateur essentiel du bilinguisme et de la dualité linguistique au Canada, c'est que 90% des anglophones ne parlent que l'anglais et que 60% des francophones ne connaissent que le français.

Si j'ai bien compris son raisonnement, que je partage ici, c'est que le jour où tous les francophones parleront anglais, on n'aura plus besoin d'une des deux composantes de ce «bilinguisme» canadien. Si tout le monde comprend l'anglais, pourquoi les anglophones devraient-ils se donner la peine d'apprendre le français et pourquoi les gouvernements devraient-ils sentir le besoin d'offrir des services en français?

C'est un argument massue pour la Loi 101 et pour l'imposition d'un Québec unilingue français !

4. «...promouvoir l’idée que la dualité linguistique au Canada constitue un élément clé de notre identité nationale, ainsi qu’une valeur plutôt qu’un fardeau»…

Dans son introduction, M. Fraser dit que depuis dix ans, il essaie de passer le message que la dualité linguistique n'est pas un «fardeau». Qui, des francophones ou des anglophones, vous semble le moins réceptif à son message? Poser la question c'est y répondre! Il affirme en toutes lettres que le Canada anglais, majoritairement ou en proportion très appréciable, considère notre langue française comme un fardeau. Entre vous et moi, ça fait dix ans qu'il prêche dans le désert, parce que la situation ne s'est guère améliorée.

Que doit-il écrire de plus pour qu'un scribe d'expérience morde à l'hameçon?

5. «Pourtant, dans son rapport annuel 2012-2013, le commissaire notait que, depuis 2006, la grande majorité des institutions fédérales avait de la difficulté à remplir ses obligations en matière d’offre active en personne et que celle-ci demeurait un maillon faible pour les institutions. Cette tendance déplorable demeure inchangée.»

Non mais la manchette leur saute en pleine face. Le Commissaire affirme que depuis dix ans, pas seulement la majorité, «la grande majorité» des institutions fédérales ne respectent pas leurs obligations en matière d'offre active en personne (offre active du français bien sûr…), et que «cette tendance déplorable demeure inchangée»… Ce n'est même plus un style bureaucratique, c'est de l'indignation à peine dissimulée.

Dix ans… une grande majorité… déplorable… rien n'a changé. Et personne ne s'est accroché à ce paragraphe pour l'approfondir tant soit peu? C'est décourageant…

6. «La haute direction de l’institution a fait preuve de leadership, notamment en élaborant des politiques et des directives claires ainsi qu’en mettant en place un cadre de gestion, ce qui facilite la mise en œuvre de son programme des langues officielles.»

Le Commissaire évoquait ici la performance de l'Agence des services frontaliers… certainement pas celle d'Air Canada ou d'autres ministères et institutions pour qui la présence du français demeure depuis toujours un fardeau… Comment être plus clair? Selon M. Fraser, en matière linguistique, quand on veut, on peut. Quand les choses ne bougent pas, c'est parce que les dirigeants refusent qu'elles bougent. Ils ne font preuve d'aucun leadership.

J'aimerais savoir ce que M. Fraser a ressenti quand l'un des plus faibles maillons de la chaîne des langues officielles, le PDG d'Air Canada, qui reçoit blâme sur blâme du Commissaire, année après année, a été nommé en novembre 2015 chancelier de l'Université d'Ottawa, une université bilingue qui se vante de sa mission de promotion du français? Quelle ironie!


Assez…. Je pourrais continuer ainsi pendant des heures et des heures… Où sont passés les médias?


1 commentaire:

  1. Francophobie: «c'est pire qu'il y a 40 ans»
    le 25 mars 2014
    http://www.lapresse.ca/le-droit/politique/201403/25/01-4751121-francophobie-cest-pire-quil-y-a-40-ans.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B13b_sur-la-colline-parlementaire_1687912_section_POS1

    Lorsqu'il a entendu parler de cette campagne, Jean Poirier, grand défenseur de la francophonie ontarienne, a décidé de l'appuyer sans réserve. À ses yeux, la violence verbale exprimée contre les francophones est bien pire que celle qu'il entendait lorsqu'il s'est engagé en politique.

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