Je n'aurais pas voulu me retrouver à la place du Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, cette semaine. Son organisation venait de rendre public deux «portraits des groupes de langue officielle» dans la grande région québécoise et ontarienne qui inclut et ceinture la capitale fédérale, Ottawa. La quatrième ville la plus importante du Québec, Gatineau, est située au coeur de ce périmètre. Or, les deux documents brossent un tableau décapant du déclin de la langue française, des deux côtés de la rivière des Outaouais…
Le Commissaire doit nécessairement répondre aux questions des médias, et tenter par tous les moyens de présenter des éléments positifs au public. Je ne suis pas tellement d'accord; à sa place j'aurais utilisé ces études pour sonner l'alarme quant à l'avenir du français à Ottawa, à Gatineau, ainsi que dans l'Est ontarien et quelques coins de l'Outaouais, y compris la vallée de la Gatineau et le Pontiac. Enfin, je peux comprendre qu'il soit difficile d'avouer, après tant d'années d'efforts, que les choses vont mal. Très mal même. Et que les remèdes ne sont guère évidents…
Si je me fie au texte du quotidien Le Droit et au reportage de Radio-Canada, le Commissaire Graham Fraser - lui-même originaire d'Ottawa - a formulé deux arguments principaux en réponse à ceux et celles qui voient dans ce rapport de sombres augures.
1. Oubliez un peu les pourcentages qui donnent le français à la baisse, tant à Ottawa qu'à Gatineau, dit-il, et regardez les chiffres de population. Tant sur la rive ontarienne que québécoise, le nombre absolu de francophones a augmenté depuis une trentaine d'années (même si cette hausse est moins marquée que chez les anglophones), passant de 104 000 à 131 000 à Ottawa, et de 166 000 à 263 000 à Gatineau.
Jusqu'à un certain point, en théorie, M. Fraser a raison sur l'importance des proportions. Que la part des francophones ait chuté de 19% à 15% (selon la langue maternelle) en 30 ans ne signifie pas en soi un danger pour la langue française. Mais s'il ne s'en tient qu'à ces colonnes de chiffres, il ne peut en être sûr. Il doit les comparer aux données sur la langue d'usage (la langue le plus parlée à la maison) pour calculer l'assimilation, aux données sur le bilinguisme et à la répartition réelle des francophones dans les différents quartiers de la capitale fédérale.
En 1971, la première année où le critère de la langue d'usage a été inclus dans un recensement, il existait toujours - sur le territoire qui forme aujourd'hui Ottawa - deux grands quartiers centraux où les francophones formaient des majorités relativement homogènes. Dans la Basse-Ville d'Ottawa, entre la rue Rideau et la rivière des Outaouais, le français était la langue d'usage d'entre 67% et 83% de la population selon le secteur; dans ce qui était alors la ville de Vanier, dans les secteurs au nord du chemin de Montréal, le français était la langue la plus souvent parlée à la maison pour plus de 70% de la population. Les proportions de francophones selon la langue maternelle (que je n'ai pu trouver) auraient été encore plus élevées...
Depuis ce temps, les communautés jadis enracinées se sont disloqué et ont été dispersées à travers la grande zone urbaine, de nord en sud, d'est en ouest, avec des concentrations qui ne dépassent pas le tiers du total (selon la langue d'usage) peu importe le quartier. Dans le district Rideau-Vanier, qui inclut l'ancienne Basse-Ville et Vanier, seulement 28% de la population donne le français comme langue d'usage en 2011. Il faut aller en périphérie est, vers Orléans et Cumberland, pour dépasser le seuil des 30%…
Premier constat: la langue se conservait mieux dans des quartiers où les francophones formaient une communauté majoritaire. Maintenant présents partout mais en minorité, la langue de la rue, du voisinage, et souvent de la maison, c'est de plus en plus l'anglais. Les répartitions linguistiques par groupe d'âge indiquent que les jeunes sont plus anglicisés que leurs parents et grands-parents. Et les mariages exogames, majoritaires chez les francophones d'Ottawa, constituent un défi que personne n'ose quantifier mais qu'il faudra accepter de relever (le plus important selon Stéphane Dion).
Les proportions continueront de baisser, au point où - dans un avenir pas très lointain - même le nombre absolu de francophones stagnera ou reculera… Si les 10 à 15% de francophones de la capitale (selon le critère qu'on emploie) formaient de solides majorités dans des quartiers où la langue française est la langue commune, je m'inquiéterais beaucoup moins pour l'avenir. Mais ce n'est pas le cas…
2. Tant dans Le Droit que sur les ondes de Radio-Canada, M. Fraser a insisté sur le fait que peu importe la proportion de francophones, un très grand nombre de personnes dans la capitale peut communiquer en anglais et en français. Même dans les quartiers ruraux/urbains les plus anglos, le nombre de bilingues ne chute à peu près jamais sous le seuil des 25%. Dans cinq districts, il dépasse même les 50% !
Il faut l'avouer, dans la capitale canadienne, la proportion d'anglophones qui peuvent communiquer en français est plus élevée que dans la plupart des autres centres urbains hors-Québec. De fait, il faut se rendre à l'évidence: à Ottawa, la forte majorité des bilingues sont de langue maternelle autre que le français. Mais ce tableau de la connaissance des deux langues officielles cache des réalités plus sombres que le Commissaire ne pourrait décortiquer dans ses rapports.
D'abord, il faut noter que neuf francophones sur dix sont bilingues, et qu'un tel stade de bilinguisme collectif est généralement l'étape ultime d'un processus d'assimilation qui arrache le tiers ou plus des effectifs d'une génération à l'autre. Cela signifie qu'entre le tiers et la moitié des enfants de ces francophones bilingues ne parleront que l'anglais…
Secundo, il serait intéressant de savoir jusqu'à quel point la connaissance du français chez quelques centaines de milliers d'anglophones et d'allophones se traduit par son utilisation quotidienne ou par la consommation régulière de produits culturels de langue française. Combien d'entre eux s'abonnent au Droit? Écoutent Radio-Canada ou TVA ou les stations de radio françaises? Achètent des livres et des disques en français? Si le bilinguisme est une coquille vide, à quoi sert-il?
Ces questions, on pourrait sans doute les poser aussi à une forte proportion des Franco-Ontariens…
Les réponses font peur. Il est bien plus réconfortant de ne prendre que les chiffres les plus positifs et de se bercer d'espoir. Mais pendant ce temps, rien ne se règle...
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À venir - un examen des données sur Gatineau, l'Outaouais et sur l'Est ontarien.
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