Une lectrice du quotidien Le Droit, Lise Laframboise, résidente du village de Saint-Isidore, dans l'Est ontarien, se plaint ce matin (http://bit.ly/1yzCTLL) d'être servie en anglais dans des commerces de Casselman, une petite municipalité à forte majorité francophone située à une quinzaine de kilomètres de chez elle, en direction d'Ottawa par l'autoroute 417…
Et sa lettre se voulait une réaction à la chronique de mon ex-collègue Denis Gratton (aussi dans Le Droit) où ce dernier faisait état d'un patient qui s'offusquait parce qu'on prononçait toujours son nom en anglais à l'hôpital Montfort, à Ottawa (http://bit.ly/1OQNRXz). Denis lui-même se souvenait de s'y être rendu avec sa conjointe et d'avoir eu affaire à du personnel qui s'était adressé à lui en anglais d'abord…
Si seulement c'étaient des cas exceptionnels... La plupart des francophones se butent à de telles situations à Ottawa et dans l'Est ontarien tous les jours, tous les mois de tous les ans. Et ça empire de décennie en décennie. La plupart s'en accommodent. Quelques-uns seulement osent se plaindre…
Ces petites lettres de lecteurs ne sont que la pointe d'un iceberg qui pourrait couler des dizaines de Titanic. Le cri du coeur de Marie-France Kenny (présidente de la FCFA, http://bit.ly/1EgB91j), la semaine dernière, s'est buté à l'indifférence habituelle et c'est en bonne partie cette indifférence (ou pire, l'hostilité fréquente des Anglo-Canadiens) qui empêche présentement les collectivités francophones de voir venir l'iceberg…
Ne faisons pas semblant de ne pas voir. Dans plusieurs coins du pays, il est presque trop tard pour sauver les derniers lambeaux de résistance d'anciennes communautés francophones florissantes. Mais dans certaines régions, notamment au Nouveau-Brunswick et dans l'Est et le Nord ontariens, il encore temps de donner quelques vigoureux coups de barre.
Si le français doit avoir un avenir hors du Québec, s'il doit continuer à y exister des régions où les francophones peuvent dire «ici c'est chez nous», des localités où le français reste la langue commune, des endroits comme Casselman et Saint-Isidore, et Hawkesbury et Alfred, et Kapuskasing et Hearst, doivent en faire partie!
Les mouvements franco-ontariens peuvent bien livrer bataille pour une théorique immigration francophone qui ne viendra jamais, ou demander un campus universitaire à Toronto où le français restera toujours marginal, et peut-être n'ont-ils pas le choix d'agir ainsi... Mais les combats qu'ils peuvent réellement gagner, là où une masse critique de francophones existe toujours, ce sont - entre autres - à l'est de la capitale fédérale qu'ils devront se dérouler, dans cette région de l'Est ontarien qui longe la rivière des Outaouais et les plaines fertiles de l'intérieur jusqu'à la frontière québécoise.
Dans quelques décennies il sera trop tard. Les chiffres des recensement fédéraux brossent un tableau jusqu'à maintenant irréversible d'une région est-ontarienne (notamment dans les comtés unis de Prescott et Russell) où une majorité jadis à moitié unilingue française (recensement 1951) est devenue massivement bilingue et s'anglicise à vue d'oeil. Ici la minorité anglophone assimile la majorité francophone!
Prenons les cas cités plus haut de Saint-Isidore et Casselman. Selon le recensement de 2011, le village de Saint-Isidore compte 75% de francophones selon le critère de la langue maternelle (première langue apprise et encore comprise) mais seulement 70 % selon la langue d'usage (langue la plus souvent utilisée à la maison). Pour les anglos, c'est le contraire: 21% selon la langue maternelle, 26% selon la langue d'usage…
Casselman offre un profil tout à fait similaire: 80% des résidents sont de langue maternelle française, mais cette proportion chute à 76% quand on utilise le critère de la langue d'usage. Les anglophones? 17% selon la langue maternelle, 21% avec la langue d'usage…
Tout de même, il y a toujours plus d'unilingues francophones que d'unilingues anglophones à Casselman et Saint-Isidore… et la langue de la rue y reste largement le français… Alors comment expliquer que des francophones ne puissent s'y faire servir en français à certains endroits, comme ailleurs dans l'Est ontarien?
Mon expérience avec les commerçants, en Ontario, comme ailleurs, c'est qu'ils se préoccupent de la langue de leurs clients seulement quand leur chiffre d'affaires en souffre ou dans la mesure où la loi leur impose certaines exigences (comme au Québec). Pour le reste, même dans des régions ontariennes à majorité francophone, trop souvent ils s'en fichent, à moins d'être de ceux et celles chez qui le vieux fond raciste antifrancophone de l'Ontario a laissé des traces… et là c'est pire…
Les petites vexations quotidiennes s'accumulent et on devient habitués à se faire servir en anglais seulement au Tim Hortons, au poste d'essence, au Wal-Mart, au Canadian Tire, un peu partout… Parfois même, ce sont des francophones qui nous servent en anglais…
La semaine dernière, à un Tim Hortons du secteur Orléans (Ottawa), la caissière francophone, qui entendait ma mère et moi parler français, nous a abordés en anglais. Et quand ma mère lui a demandé (en français) si telle soupe était disponible, elle a répondu, passant au français, qu'on n'avait que la chicken noodle et la cream of broccoli… J'ai la conviction qu'elle aurait préféré qu'on s'adresse à elle dans l'autre langue, la seule qui soit officielle à Ottawa et en Ontario…
L'anglicisation grignote quotidiennement les anciennes majorités francophones de l'ouest du comté de Russell, les plus rapprochées d'Ottawa, et s'avance inexorablement vers l'est… Mais à part Lise Laframboise, Marie-France Kenny et quelques autres, les lunettes roses restent de mise dans ce beau-et-grand-bilingue-pays…
«Pourquoi bêler quand le troupeau veut rire?», chantait jadis Louise Forestier… Je viens sans doute d'écrire un autre texte de blogue inutile… vu l'indifférence générale. Mais comme je l'ai déjà dit à un critique de mon insistance: «Je tiens plus à m'exprimer qu'à être lu»… Alors voilà!
Cela me rappelle la pertinence d'un échange intéressant, en juin 2014, au sujet de l'affichage et du service bilingue dans l'Est ontarien... ;-)
RépondreSupprimerBien hâte de pouvoir discuter avec vous le 17 avril, M. Allard! Bon Lundi de Pâques.
Tina