samedi 11 avril 2015

Déclin du français: Prescott-Russell en transition...

Les rapports du Commissariat aux langues officielles sur la situation linguistique à Ottawa (http://bit.ly/1D75hcr) et Gatineau, publiés cette semaine, contiennent aussi des données sur un certain nombre de régions environnant la capitale fédérale et la métropole outaouaise. Les statistiques ne portent que sur le recensement de 2011 (pour Ottawa et Gatineau on remonte jusqu'à 1981) mais tout de même, elles permettent de cerner dans ses grandes lignes la menace qui pèse sur la francophonie dans ces secteurs, et notamment dans l'Est ontarien (les comtés unis de Prescott-Russell).

La grande région de Prescott-Russell couvre, plus ou moins, le territoire entre Ottawa et la frontière québécoise, des abords de l'autoroute 417 au sud, à la rivière des Outaouais au nord. C'est une région vitale pour l'Ontario français (avec certains secteurs du Moyen et Grand Nord ontariens) parce que les francophones y sont - pour le moment - nettement majoritaires. Dans le sud et sud-est ontariens, c'est le dernier bastion francophone, le dernier territoire où les parlant français peuvent se sentir véritablement chez eux... la plupart du temps.

Mais cette région est en transition… surtout dans le secteur ouest, le plus rapproché d'Ottawa. La capitale déborde à l'est, et ce qui étaient jadis de paisibles villages francophones sont devenus au fil des récentes décennies des quartiers annexés à Ottawa ou des banlieues en croissance rapide. Orléans, jusqu'aux années 1960, un village canadien-français, compte maintenant plus de 100 000 habitants et une forte majorité anglophone. Plus à l'est à Clarence-Rockland, Embrun et même Wendover… des projets domiciliaires accueillent de plus en plus de gens travaillant à Ottawa… avec des conséquences socio-démographiques évidentes…

Le rapport du Commissaire Graham Fraser a capté un moment de cette évolution avec les données cueillies au recensement de 2011. Ces statistiques sont déjà en soi inquiétantes, même sans mise en contexte historique, mais quand on y a joute quelques points de repère des années 1950, 60 ou 70, un scénario beaucoup plus dramatique se profile à l'horizon. J'ai déjà abordé dans un texte de blogue antérieur (http://bit.ly/1CxkEfV en février 2015) le phénomène de «bilinguisation» de Prescott-Russell, depuis 1951 - la population était alors unilingue française à près de 50%.

Il y a 60 ans, moins de 40% des résidents de Prescott-Russell parlaient le français et l'anglais (avec 47% d'unilingues français et 14% d'unilingues anglais). Aujourd'hui, selon les chiffres présentés dans l'étude du Commissariat aux langues officielles, les taux de bilinguisme varient entre 67 et 74% de la population dans les principales municipalités des comtés unis. Seule exception: Russell, avec 58% de bilingues, et pourquoi? Parce que c'est la seule municipalité où les francophones sont minoritaires et qu'une forte proportion des anglophones y restent unilingues anglais…

Avec les proportions d'unilingues français à la forte baisse, une augmentation lente mais constante de la proportion d'unilingues anglais (de 14 à 21% depuis 1951), et la bilinguisation accélérée des Franco-Ontariens, il ne faut pas se surprendre que le Commissaire aux langues officielles ait constaté et quantifié une assimilation pour le moment modeste mais qui ira s'amplifiant. Ce phénomène est le plus perceptible dans les municipalités de Clarence-Rockland et de Russell, les secteurs les plus rapprochés de la capitale.

Ainsi, à Clarence-Rockland, on dénombre 64,9% de francophones selon la langue maternelle, mais seulement 57,7% selon la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison). Pour Russell, c'est 45,7% langue maternelle française, et seulement 38,3% langue d'usage… Les écarts existent aussi, mais plus faibles, dans les autres municipalités. Seule Hawkesbury semble pour le moment épargnée…

La présence francophone a chuté, proportionnellement, de façon dramatique dans certains coins de Prescott-Russell. Selon le recensement de 1971, la population de la municipalité de Russell était à 69% francophone (langue maternelle). C'est aujourd'hui 45,7%. L'ancienne ville de Rockland était alors à 89% francophone. Aujourd'hui, ça frôle le 60%… Pour l'ensemble de Prescott-Russell, la proportion de gens de langue maternelle française est de 65% en 2011. En 1971, c'était 81,2% pour Prescott et 83,8% pour le comté de Russell…

En terminant, une comparaison qui mettra en évidence la différence entre francophones et anglophones dans l'Est ontarien. Dans une municipalité comme Casselman, où les francophones forment plus de 80% de la population, le taux de bilinguisme est de 74%. Dans la ville d'Arnprior, à l'ouest d'Ottawa, où les anglos forment plus de 90% de la population, à peine 10,5% des résidents sont bilingues (et ce 10% comprend sans doute le 4% de francophones). Alors ne nous faisons pas d'illusions: le bilinguisme des régions francophones permet essentiellement à la majorité des anglos de rester unilingues…

Les Franco-Ontariens ont vécu dans des luttes incessantes contre des majorités hostiles, voire racistes, depuis plus de 100 ans. Ce qu'ils ne semblent pas avoir appris, c'est de se comporter en majorité dans les régions où ils le sont, et d'imposer à leurs coins de pays un visage français (pas bilingue), à leur image… Il est encore temps...


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à venir lundi - petite incursion dans l'Outaouais hors-Gatineau...




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