lundi 28 juillet 2014

CBC devrait s'en tenir aux chansons de langue anglaise, et cesser de nous insulter

CBC vient de récidiver! Après avoir démontré à l'été 2013 son ignorance du trésor existant d'albums de langue française au Québec et dans les zones francophones limitrophes, ne réservant aux offrandes francophones que quatre des 100 premières positions (Les chemins de verre de Karkwa, L'heptade d'Harmonium, Quatre saisons dans le désordre de Daniel Bélanger et Starmania), voilà qu'un panel de CBC ne retient cette année que cinq titres de langue française dans son choix des 100 meilleures chansons «canadiennes» (Canadian, plutôt…) de tous les temps…

La liste de 2014, rendue publique le 30 juin, comprend les cinq chansons françaises suivantes: Les chemins de verre, de Karkwa; Place de la république, de Coeur de Pirate; J'ai rencontré l'homme de ma vie, de Diane Dufresne; Pour un instant, d'Harmonium; et Un Canadien errant. Sans pour autant remettre en question la valeur de ces cinq sélections, une question saute à l'esprit: mais d'où sortent les membres du panel de CBC et dans quel univers musical vivent-ils? Certainement pas du paysage musical canadien (si «canadien» inclut effectivement pour eux les zones fleurdelisées du beau et grand bilingue pays…).

J'ai pris une petite demi-heure et jeté sur papier, pêle-mêle, une liste d'entre 25 et 30 chansons que je crois dignes d'un palmarès comme celui que CBC vent de nous infliger. Je les ai choisies parce que je les aime mais aussi parce qu'elles ont, objectivement, leur place dans l'histoire de la musique d'ici. Ce ne sont pas des chansons obscures. Elles sont presque toutes des classiques, de fait, et plusieurs d'entre elles ont trôné au sommet des palmarès québécois, ainsi qu'en France et ailleurs dans la francophonie. Certaines ont été traduites dans plusieurs langues.

Mais elles restent largement inconnues au Canada anglais, semble-t-il, ce Canada anglais qui s'identifie si souvent comme le Canada tout entier. Je ne tiens pas à voir la musique québécoise, acadienne ou canadienne-française incluse dans les choix de CBC. De toute façon, notre musique a son identité propre. Elle est, essentiellement, québécoise ou gravite autour du Québec depuis les années 1960. Ce à quoi je m'objecte, c'est qu'un média aussi prestigieux que CBC puisse se croire compétent à évaluer nos offrandes musicales quand, de toute évidence, il en ignore l'essence… Le diffuseur anglo-canadien aurait dû avoir la décence de présenter son palmarès comme étant celui des 100 meilleurs chansons canadiennes-anglaises de l'histoire…

La plupart des amateurs de musique pourraient, comme moi, choisir une vingtaine ou une trentaine de classiques de langue française capables de concurrencer la sélection de CBC. Et ça prouverait quoi? Même si ce genre d'évaluation comporte une grande part de subjectivité, cela servirait tout au moins à montrer que notre musique existe, qu'elle nous ressemble (alors que les chansons anglo-canadiennes, le plus souvent, s'intègrent sans heurt à celles du meeting pot états-unien…) et que ses accents largement québécois ne l'empêchent pas d'avoir une valeur universelle (sauf, apparemment, au Canada anglais).

Voici donc, à l'intention de CBC et de ses experts, une liste de chansons québécoises qui, sans s'identifier comme canadiennes (du moins plus maintenant), font jusqu'à nouvel ordre partie du paysage musical que prétendent scruter les experts du diffuseur public anglo-canadien. Elles ont marqué des chapitres importants de la riche histoire musicale que nos voisins ignorent. Enfin, que chacun fasse l'effort, rien que pour renouer avec son passé et enrichir son présent. Nous pourrions aligner des centaines de compositions et d'interprétations dignes d'être soumises à un panel d'experts musicaux…

Voici les miennes dans le désordre (des sélections que j'avoue fortement influencées par mon âge, mon vécu et mes goûts):

Lindberg (1968), de Robert Charlebois et Louise Forestier (http://bit.ly/1tMQxtC). Ses ondes de choc restent perceptibles. Pour moi, il y a avant Lindberg, et après Lindberg dans le rock québécois.

La Manic (1966), de Georges Dor (http://bit.ly/1tPhlt2). Reprise et repopularisée par de nombreux artistes québécois, français… et même par Leonard Cohen.

Moi mes souliers (1953), de Félix Leclerc (http://bit.ly/WYmlkc). On pourrait y adjoindre Le petit bonheur, de la même année.

Le plus beau voyage (1972), de Claude Gauthier (http://bit.ly/1k8BqZB). Considéré parfois presque comme un hymne national.

Toune d'automne (2002), des Cowboys Fringants (http://bit.ly/1rVjP93). La chanson si populaire qu'elle a forcé les radios commerciales à jouer la musique des Cowboys.

Les étoiles filantes (2005), des  Cowboys fringants (http://bit.ly/1qEWrPX). Celle-là, leur plus grand succès, est digne du top 10 du palmarès de la musique d'ici!

Frédéric (1962), de Claude Léveillée (http://bit.ly/1tPhlt2). La chanson qui a fait connaître Claude Léveillée en Europe, reprise par plusieurs, encore entendue aujourd'hui.

Comme j'ai toujours envie d'aimer (1970), de Marc Hamilton (http://bit.ly/1q4Qo2e). Depuis plus de 40 ans l'une des chansons les plus appréciées au Québec… traduite en 15 langues!

N'importe quoi (1994), d'Éric Lapointe (http://bit.ly/1zjbhMt). La chanson qui a consacré Éric Lapointe comme vedette incontournable du rock d'ici.

Un peu plus haut, un peu plus loin (1969), de Jean-Pierre Ferland (http://bit.ly/1khGz3l). Rendue encore plus intense par la célèbre interprétation de Ginette Reno à la Saint-Jean.

J'entends frapper (1974), de Michel Pagliaro (http://bit.ly/1o4kr75). Devenu dans les années 1970 le 45 tours le plus vendu de l'histoire du Québec; a même percé dans les palmarès anglo-canadiens.

La complainte du phoque en Alaska (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/1rr1qzB). La qualité et la popularité de ce grand classique d'un groupe tout aussi classique ne se démentent pas, même en 2014.

Le picbois (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/1khHnFe). On pourrait inclure dans cette liste presque toutes les chansons du premier album de Beau Dommage, mais j'ai toujours eu un faible pour celle-ci...

Ginette (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/Uvz5NZ) … et pour Ginette.

Le blues de la métropole (1975), de Beau Dommage (http://bit.ly/1mSnTSa). Chanson culte parmi les chansons cultes, au carrefour du rock et de la politique.

Mon pays (1964), de Gilles Vigneault (http://bit.ly/1pstd01). Choisie meilleure chansons de tous les temps (selon un sondage québécois des années 1980), élue au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens.

Les gens de mon pays (1965), de Gilles Vigneault (http://bit.ly/1frt0ux). Pour la qualité du texte et de la musique, elle trône près du sommet.

Opium (1992), de Daniel Bélanger (http://bit.ly/1l5j1cB). Quand une chanson domine toutes ses concurrentes au palmarès pendant sept semaines, c'est pour une bonne raison...

Le monde est stone (1978), Starmania (http://bit.ly/1k2qJcl). L'un des hymnes de Starmania, que CBC avait inclus dans les 100 meilleurs albums canadiens l'an dernier...

J'ai l'blues de vous (1995), de Marie Carmen (http://bit.ly/WZHiLJ). Une autre grande chanson qui porte la griffe de Plamondon.

Le temps de m'y faire (1996), de Nanette Workman (http://bit.ly/1nw4FXz). De loin, selon moi, la meilleure chanson interprétée par Nanette. Fusion France-Mississippi devenue québécoise.

Dégénérations (2004), de Mes aïeux (http://bit.ly/1mOUCdB). Juste pour son impact, cette offrande mérite d'être considérée.

Quand les hommes vivront d'amour (1956), de Raymond Lévesque (http://bit.ly/1qGmo1B). Aucun besoin de justifier ce choix en 2014...

Les chats sauvages (1986), de Marjo (http://bit.ly/1zjlxEo). Michel Gratton, ancien chroniqueur du Droit, disait qu'il était tombé en amour avec Marjo juste en entendant Les chats sauvages...

Comme un fou (1976), d'Harmonium (http://bit.ly/1khJV6q). L'inclusion de L'heptade parmi les meilleurs albums de CBC, l'an dernier, aurait dû s'accompagner du choix d'au moins une chanson dans le palmarès de 2014...

Dixie (1975), d'Harmonium (http://bit.ly/1l5mJTz) …et celle-ci, un an avant L'heptade.

Les ailes d'un ange (1969), de Robert Charlebois (http://bit.ly/1l2Nt7g). Un choix personnel, sans doute parce que je suis Québécois originaire d'Ottawa. Mais vous ne trouverez rien de semblable dans la discographie anglo-canadienne.

La morale de cette histoire? CBC devrait s'en tenir aux oeuvres musicales «Canadian» de langue anglaise, et cesser de nous insulter avec une participation francophone symbolique à des palmarès qui n'ont de pan-canadien que le nom…

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Liens à deux textes de blogue précédents (2013) sur le même sujet. http://pierreyallard.blogspot.ca/2013/08/la-musique-du-canada-anglais-cest-quoi.html et http://pierreyallard.blogspot.ca/2013/08/cbc-et-la-musique-canadienne.html



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