Quand nous étions enfants, dans le quartier francophone de Mechanicsville, à Ottawa, l'endroit que les anglophones appellent « Tunney's Pasture » était notre terrain de jeux. La première bâtisse de ce qui devait devenir au fil des décennies un méga-complexe d'édifices fédéraux a été érigée vers 1952, quand j'avais six ans. Tout le reste du secteur immédiatement à l'ouest de la rue Parkdale, entre la rivière des Outaouais et la voie ferrée du CP, restait plus ou moins à l'état sauvage. Un lieu idéal pour les explorations d'enfants... et nous l'avons abondamment exploré.
Aujourd'hui, les arbres, les sentiers, le ruisseau, les broussailles, tout est devenu asphalte, béton et verdure entretenue. Mais on a gardé le nom « Tunney's Pasture ». Or, le site étant fédéral et soumis aux exigences de la Loi sur les langues officielles, il semble qu'on doive lui trouver un équivalent français, notamment pour une station d'autobus d'OC Transpo adjacente au complexe. Le nom le plus souvent évoqué - le « Pré Tunney » - est pure invention de traducteur. Il n'a aucune assise dans le langage populaire ottavien, ni dans les traditions de la communauté francophone (Mechanicsville) qui avoisinait le secteur.
Jusqu'à récemment, il me semble qu'on utilisait aussi « parc Tunney ». On voit encore cette expression dans certaines pages Web de la ville d'Ottawa. C'est un peu mieux, mais pas beaucoup, que « Pré Tunney ». De fait, pour être encore plus fidèle à Pasture, n'aurait-on pas pu parler du « Pâturage de Tunney » ? Non, à bien y penser, aucun de ces noms ne rend efficacement Tunney's Pasture en français. Et pourtant, ce vaste terrain avait un nom français.
Enfants, nous ne l'avons jamais appelé par son nom anglais, ni par aucune des traductions proposées depuis les années 1960. Pour nous, ces quelque 40 acres d'aventures quotidiennes, c'était tout simplement le « port ». Je ne sais pas si c'est bien épelé. C'aurait pu être « porc ». La prononciation est la même. Nous l'avons toujours dit, mais jamais écrit. Était-ce une déformation du mot « parc » avec l'accent de l'époque. On disait bien « moé » et «toé » au lieu de moi et toi. Il faudra que je tente de m'informer à ce sujet...
Ma mère croit se souvenir que les gens, avant mon temps, parlaient du « port aux vaches » ou du « port à vaches », mais elle est davantage convaincue que le nom « port » vient du mot « portage », parce que jadis, les Autochtones y débarquaient en canots pour un portage qui les amenait au-delà des chutes Chaudière. J'aime bien cette interprétation... Il y aurait donc eu là, historiquement, un « port ».
Il reste que nos parents savaient exactement ce qu'on faisait quand on leur disait qu'on allait jouer dans le « port ». Tout le monde le savait... Y a-t-il dans tout cela des pistes pouvant mener à un nom français de « Tunney's Pasture » qui ait de véritables racines dans le quartier?
Quand nous étions petits, il y avait belle lurette que les vaches de M. Tunney (ou y avait-il des porcs?) avaient cessé de brouter dans l'ancien pâturage. M. Tunney était arrivé dans les parages vers 1867 et était sûrement mort depuis longtemps en 1950. J'ai scruté les pages du livre de 1946 de Lucien Brault sur l'histoire d'Ottawa et n'ai trouvé aucune mention de M. Tunney ou de son pâturage. Par contre, le livre contient une carte routière de la capitale, révisée en 1940 et il est intéressant de noter que le secteur Tunney est sillonné de rues déjà baptisées.
Il est évident que ces rues n'existaient pas mais déjà, au début de la Seconde Guerre mondiale, on avait l'oeil sur l'endroit et on envisageait de l'urbaniser. Le gouvernement fédéral devait éventuellement court-circuiter ces projets en en faisant l'acquisition. Sur la carte de 1940, trois rues de Mechanicsvlle - Emerson, Burnside et Lyndale - sont prolongées vers l'ouest presque à l'extrémité du « port » (Tunney's Pasture). Et huit rues nord-sud sont ajoutées (Ford, Elmdale, Norfolk, etc.). Ce procédé d'inclure des rues non construites n'était pas unique à Ottawa. J'ai vu des vieilles cartes de Gatineau où l'île Kettle était quadrillée de rues nommées...
Quoiqu'il en soit, maintenant qu'on pose la question de la traduction officielle de Tunney's Pasture, pourquoi ne pas investir efforts et quelques dollars pour découvrir la véritable origine du nom français que lui avaient donné les gens du quartier francophone qui l'avoisinait?
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