mercredi 28 août 2013

Assez, c'est assez !

Quand j'étais petit, à l'école qui était alors catholique, on nous faisait réciter des prières, on écrivait JMJ (Jésus-Marie-Joseph) dans les marges de nos cahiers, l'image d'un petit ange ornait nos bons devoirs, un prêtre venait nous sermonner régulièrement, on nous emmenait à l'église paroissiale pour la confession ou la messe, et on nous embrigadait dans toutes sortes d'organisations à caractère religieux.

Les symboles catholiques étaient fréquents dans mon petit coin francophone d'Ottawa mais au Québec, société catholique par excellence, les croix et habits religieux étaient omniprésents. Dans les hôpitaux, dans les foyers pour personnes âgées, dans les salles publiques... et même à l'Assemblée nationale. Des prêtres, des évêques et des cardinaux se retrouvaient invités d'honneur à toutes les grandes réceptions et inaugurations. Même l'hymne national qu'on nous enseignait dès la tendre enfance nous rappelait que notre bras savait « porter la croix ».

Jusqu'à un passé relativement récent, l'État neutre ne faisait pas partie de nos expériences. La plupart des gens percevaient l'appareil étatique, à tort ou à raison, comme étant noyauté par des intérêts qui étaient tout sauf neutres. À Ottawa, ma ville natale, la mise sur pied de l'Ordre de Jacques-Cartier (alias la Patente) avait, entre autres, pour but de combattre l'accaparement des gouvernements et des services publics par des protestants et des francs-maçons anti-catholiques... Au Québec, jusqu'à l'époque de Duplessis (ce n'est pas si loin...), les gouvernements et le haut clergé catholique semblaient s'entendre comme larrons en foire...

Nous en avons fait, du chemin, en un demi-siècle. Nous avons parfois zigzagué mais dans « notre mental », nous avons réussi à séparer l'Église et l'État, le religieux du politique. La liberté de religion est devenue ce qu'elle aurait dû être depuis longtemps, une liberté individuelle de croire et de pratiquer sa religion sans entraves, dans les limites des lois bien sûr. En grande majorité, nous en avons fini avec l'intégrisme qui a caractérisé une importante partie des générations précédentes.

La laïcisation de la société québécoise francophone, depuis les années soixante, s'est répercutée sur l'État. Les écoles ne sont plus catholiques ou protestantes. Les religieux ont cédé le rôle dominant qu'ils exerçaient dans plusieurs institutions hospitalières. Et bien des lois (conjoints de fait, mariage gai, avortement, etc.) ont été modifiées pour affirmer la neutralité et l'ouverture de l'État dans une société de plus en plus diversifiée par l'apport de nouvelles cultures autant que par l'évolution des anciennes.

J'ai beau toujours me considérer comme catholique et croyant, et parfois en désaccord avec certaines des transformations sociales et culturelles, ce mouvement vers une neutralité de l'État dans une société laïcisée m'apparaît comme fondamentalement sain. Comme garant de la liberté (y compris la liberté de religion) de TOUS et TOUTES, l'État doit être neutre, dans sa réalité ainsi que dans son apparence. Les nouveaux intégrismes oppresseurs - venus d'ici ou d'ailleurs - sont autant à rejeter que les anciens dont nous nous sommes défaits dans un élan libérateur, il y a un demi-siècle.

Bien sûr, la question n'est pas aussi simple qu'elle ne le paraît, mais elle n'est pas non plus aussi complexe que certains le voudraient. On n'a peut-être pas besoin d'une « charte des valeurs ». Peut-être suffirait-il de modifier les chartes existantes. Mais cet enjeu mis à part, la question posée semble se limiter à un point très précis, pour le moment. Doit-on permettre aux employés et représentants de l'État de porter des signes religieux ostentatoires ?

Ceux et celles qui viennent mêler cette question à l'ensemble de l'enjeu patrimonial, y compris les artefacts et noms religieux, ne font qu'embrouiller le débat. Ceux qui s'amusent à utiliser cette discussion pour attiser les braises de la discorde entre francophones, anglophones et allophones ou encore pour nous taxer de xénophobes, de racistes ou de peureux, y compris mais pas uniquement la presse anglo-canadienne, ne rendent service à personne.

Alors, qu'en est-il des signes religieux portés par des personnes qui agissent au nom d'un État neutre ? Pour moi, et je pense pour la majorité des gens, la réponse est facile. Ce n'est pas leur place. (parenthèse pour le fameux crucifix de l'Assemblée nationale, parce qu'on y revient constamment : le temps est venu de l'enlever et de l'exposer dans une vitrine patrimoniale avec d'autres souvenirs précieux d'une autre époque). La neutralité, c'est l'ouverture, c'est l'égalité, c'est le respect des croyants et des non-croyants, des catholiques, des juifs, des musulmans, des agnostiques et des athées...

Dans la vie privée, les catholiques peuvent, s'ils le veulent, aller à la messe tous les jours, porter une croix au cou et continuer d'endurer une Église qui consacre l'infériorité des femmes aux plus hauts niveaux. Les fondamentalistes protestants peuvent continuer de nier les enseignements de la science. Les musulmans peuvent fréquenter une mosquée et continuer d'imposer à leurs femmes les niqabs, foulards et autres signes d'inégalité, voire d'asservissement. Les religions ont été historiquement championnes d'inégalité et leur association au pouvoir (encore aujourd'hui) signifie le plus souvent persécution et discrimination.

Les droits et libertés ne sont pas absolus. Ils s'accompagnent de limites et de responsabilités. Certaines libertés se terminent quand elles heurtent d'autres libertés, aussi ou plus importantes. Cette question n'est pas simple et c'est pour cette raison que nous avons des lois et des tribunaux. La neutralité de l'État semble rallier un large consensus, en principe, mais la chicane poigne quand vient le temps de donner un visage concret à cette neutralité. Parce que l'État et les services publics, au-delà des affiches et du béton, ce sont des humains, qui doivent aussi assurer cette neutralité.

Interdire aux employés et représentants de l'État de porter des signes religieux visibles, cela me semble éminemment raisonnable. Non seulement ces signes ne sont-ils pas à leur place, mais ils attirent l'attention du public sur la religion du fonctionnaire ou du représentant, plutôt que sur sa personne et ses compétences. Ça lui enlève son apparence de neutralité, même si les services qu'il ou qu'elle rend restent parfaitement neutres. Est-ce trop demander de laisser les symboles religieux dans la vie privée quand on veut servir l'État et l'ensemble de ses concitoyens ? Non.

Est-ce une atteinte à la liberté de religion? Pour un ou une intégriste, sans aucun doute. Ue telle mesure, il y a 60 ans, quand nous vivions dans un univers catholique intégré, aurait suscité un tollé et avivé les flammes de l'enfer... Mais depuis cette époque, l'essentiel de la laïcisation au Québec s'est faite aux dépens de nos propres symboles traditionnels. Alors, est-ce une atteinte à la liberté de religion? Pour les fins de l'argumentation, disons que oui. Est-ce alors une limite « raisonnable » à la liberté de religion ? Il me semble que oui.

Si on veut parler des symboles les plus fréquemment invoqués dans les fébriles chapelles médiatiques, le foulard islamique et le turban sikh, on évoque assez peu le fait que la majorité des femmes musulmanes d'ici ont abandonné le hijab et qu'en Inde même, dans le Penjab, patrie des Sikhs, la plupart des jeunes ne portent plus le turban (au soccer, dans leur équipe nationale, ils ne le portent pas). La laïcisation est enclenchée là aussi et fera graduellement son chemin. Des règles claires ici ne susciteraient pas de débat à long terme. La neutralité de l'État, comme garante des libertés, et l'égalité des citoyens ainsi que l'égalité des sexes sont plus importantes que l'argument de liberté de religion, invoqué parfois à l'excès.

Je me permets de conclure avec la fin d'un éditorial que j'ai signé récemment dans Le Droit :


« Sur la place publique, dans nos lieux citoyens, au gouvernement, devant les tribunaux, l’égalité de l’homme et de la femme n’est plus négociable. Et si, pour l’assurer, il faut accentuer et enchâsser les principes de laïcité, qu’on le fasse. L’égalité reste la pierre d’assise.

« Et peut-être tout cela incitera-t-il les religions à retourner au cœur de leur message, plutôt qu’à l’apparence de ses messagers. Dans l’Évangile de Mathieu, Jésus condamnait ceux qui pratiquaient leur religion pour « attirer les regards », qui « claironnaient » dans les lieux de culte et dans les rues en faisant l’aumône ou en priant. Il proposait plutôt d’agir « dans le secret », dans une chambre retirée, en verrouillant la porte. Et le Coran n’affirme-t-il pas de son côté une prescription divine voulant qu’avant tout, « le meilleur vêtement est celui de la piété » ? Amen. »




  




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