Le temps reste un des grands mystères de la vie. C'est à la fois un point de repère réconfortant et inquiétant. Réconfortant parce que j'ai toujours été terrorisé par le concept incompréhensible d'éternité. Pensez-y. Aller au ciel ou en enfer pour l'éternité. Ça ne finit JAMAIS... Quelle horreur. L'humain a besoin de limites et c'est sans doute pour cette raison que nous avons inventé le temps. Le malheur avec le temps terrestre, cependant, c'est qu'il finit toujours par avoir une fin... Nos jours sont comptés, dès la naissance... Un jour, ce sera le grand saut vers l'inconnu... le néant ou l'éternité... ou autre chose.
Je me souviens de mes derniers jours à l'âge de neuf ans. Déjà le temps m'intriguait. Je me disais que j'aurais bientôt deux chiffres dans mon âge - 10 ans - et qu'il était fort improbable que je me rende à trois chiffres, ne connaissant aucun centenaire... Dans ma tête, je devenais vieux... Avec les années, je me suis aperçu que penser trop au temps, c'était perdre son temps... et j'ai enfoui mes petites terreurs dans un coin de mémoire...
Mes craintes sont réapparues à 39 ans... la quarantaine étant généralement vue comme le début du déclin physique de l'humain et l'amorce de la lente glissade vers une mort qu'on sait inévitable... et cette horrible éternité. Alors je me suis mis à courir - quelques kilomètres à tous les jours - pour retrouver mon poids optimal et me remettre en bonne forme physique. Cela a duré moins d'un an... Finalement, la quarantaine, c'était bien confortable... on a encore plein d'énergie et de projets...
Puis vient la cinquantaine, décennie maudite (chez les hommes du moins) parce que c'est là, très souvent, que les grands bobos s'y manifestent... cancer, maladies cardiaques... Quand les diagnostics tant craints sont confirmés, on se remet à compter les années et les jours qui nous restent... et on guette l'horizon en espérant ne pas apercevoir la ligne d'arrivée... Puis, un très bon jour, avec un peu de chance, on retrouve la santé et le fil « normal » de la vie reprend...
Arrivé dans la deuxième moitié de la soixantaine, étant devenu officiellement vieux, je m'aperçois que j'ai appris à vivre avec le temps... et j'ai finalement compris que l'éternité est aussi un concept humain... inventé pour décrire une « réalité » qu'on ne connait pas... un monde sans temps.
J'imagine que chacun a sa façon de voir la durée de notre séjour sur cette terre, et qu'il n'y a pas de vérité universelle à cet égard. J'y vais donc de mon interprétation. J'ai l'impression qu'il existe deux temps : celui de notre corps, qui évolue en ligne droite (naissance, montée, sommet, déclin, mort) à moins d'être fauché soudainement et injustement en plein élan, et celui de l'esprit ou du cerveau, qui ne fait qu'augmenter (une de plus à chaque année qui s'ajoute...). Ce temps reste toujours en montée, le sommet étant atteint à notre mort.
J'aime dire que j'ai 67 ans mais que je n'ai pas seulement la 67e année, je les ai toutes... dans ma tête du moins. Mon corps, lui, me rappelle tous les jours, dans le miroir, dans mes genoux moins flexibles, dans sa capacité physique réduite, que j'ai bel et bien mes 67 ans... et pas une de moins. Mais le temps, le vrai temps, c'est dans la tête qu'il se passe... et là, on a la capacité de voyager à loisir. C'est d'ailleurs en visitant le passé ou en acceptant qu'il nous visite qu'on conserve cette lueur essentielle de jeunesse dans les yeux (qu'on dit d'ailleurs le miroir de l'âme).
Dans ce « vrai » temps, le passé fait toujours partie du présent et chaque nouvelle journée apporte des expériences qui peuvent nous y replonger, ou qui modifient notre perception des souvenirs ainsi que notre attitude envers l'avenir.
Cette semaine, le hasard a voulu que j'aie l'occasion de faire une petite balade à pied dans mon ancien quartier d'Ottawa appelé Hintonburg (nous on disait St-François d'Assise ainsi que Mechanicsville). Je me suis retrouvé sur la rue Wellington (qu'enfants on appelait simplement la « grand-rue », l'ancienne rue principale d'Ottawa) et j'ai cherché des points de repères familiers. Sauf pour l'église St-François d'Assise, il ne reste à peu près rien... Mais pour quelques instants, l'ancienne « grand-rue » est réapparue en mémoire...
La pharmacie de M. Ranger, la mercerie de mes grands-parents, la tabagie de M. Martin, la bijouterie des Lavoie, la salle de quilles, le magasin A&P, la caisse populaire... les arômes de l'époque quand, le dimanche matin, on revenait de la messe et on pouvait sentir, de maison en maison, la préparation du gros repas du midi (on n'avait pas le droit de manger avant de communier...)... le bruit des tramways (disparus depuis 1959)... Pour un bref moment, j'avais 10, 15, 20 ans... C'était très réel...
Hier, j'ai aidé une de mes filles et son conjoint à déménager... pas en transportant de lourdes charges, j'ai passé cet âge... En nettoyant, en déballant, en plaçant... Mais on ne peut alors s'empêcher de revivre les déménagements passés... les nôtres (peu fréquents) et ceux auxquels on a participé. En désordre, les images resurgissent. On se revoit dans la force de l'âge, portant sur ses épaules du mobilier lourd qu'on transporte du 3e étage au rez-de-chaussée, ou pire, vice versa... Parents et amis rassemblés dans une joyeuse corvée... J'avais 20, 30, 40 ans...
Il y a quelques jours, épluchant le Top 100 des palmarès des 55 dernières années du magazine Billboard, je me revoyais au début des années 60, avec ma petite radio transistor, attendant que le soleil se couche pour qu'on puisse entendre les stations de radios AM de Buffalo et New York qui jouaient nos pièces préférées de rock'n roll. Pour un instant, j'étais encore adolescent... Il suffit parfois d'une odeur, d'une chanson, d'un paysage, d'un événement pour éveiller des moments de notre passé et les ramener vivement dans le présent.
Et à chaque jour, en me levant, je retrouve le sourire de mon épouse (depuis 38 ans) et un vieil ami, le clavier... jadis celui d'une machine à écrire Underwood... maintenant celui d'un iMac... Le clavier fait partie de mon quotidien depuis près de 45 ans et il me semble que je l'attaque avec la même fraîcheur et la même énergie qu'à 25, 40 ou 55 ans... et que ces 40 et quelques années sont présentes à chaque texte, chaque paragraphe, chaque mot... Je n'ai jamais su où étaient situées les lettres sur un clavier, mais je tape à deux doigts sans trop regarder et sans trop me tromper... 45 ans de pratique...
Cet automne, dans le cadre du centenaire du Droit, auquel je suis associé comme employé et comme pigiste depuis la fin des années 1960, on tentera de réunir les anciens et actuels de la salle de rédaction. Plusieurs de nos anciens collègues ont été fauchés à un trop jeune âge et j'imagine que pour certains d'entre nous, il existe une certaine urgence à renouer avant l'éternité... Il y en a plusieurs que je n'ai pas revus depuis très longtemps... Les visages que j'ai en mémoire sont toujours sont dans la vingtaine, la trentaine... Une fascinante fusion du passé et du présent en perspective...
Bon voilà pour aujourd'hui... assez de temps passé à écrire... j'ai tout le reste d'une vie devant moi (peu importe qu'il s'agisse de quelques jours, quelques années ou quelques décennies...) et j'y traîne mes 67 années... Toutes les 67...
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