J'aurais cru que le gouvernement Trudeau aurait pris grand plaisir à retirer tous les signes les plus voyants des sombres années Harper. Bien sûr on a rétabli le questionnaire long obligatoire du recensement 2016, remis à leur places les tableaux d'Alfred Pellan aux Affaires extérieures et supprimé le symbolisme militaire à Bal de neige (le festival d'hiver d'Ottawa), mais le ménage n'est pas complet.
Je ne sais pas si la nouvelle administration a conservé les photos de la reine d'Angleterre dans les ambassades et consulats du Canada, ou si les autorités ont l'intention de rétablir les anciennes appellations des forces armées. J'imagine que oui… Il reste cependant un projet (au moins) de l'ère Harper que l'équipe de Justin Trudeau semble vouloir mener à terme - le monument aux victimes du communisme, à Ottawa. Oh, on en changera probablement l'appellation et le descriptif, mais le fond du message demeurera le même: identifier le «communisme» comme une composante de l'axe du mal…
Les dirigeants actuels à Ottawa sont conscients que cela est largement faux, et ils savent pourquoi… Ils ont à leur service une armée d'experts - historiens, linguistes, interprètes, politicologues, sociologues, etc. - qui peuvent expliquer les différences de fond entre l'idéal du communisme et les gouvernements des États qui ont utilisé cet idéal pour le transformer et justifier des régimes autoritaires et meurtriers. J'ai déjà évoqué le fond de cette problématique dans un texte de blogue l'an dernier: http://bit.ly/16RLmD7.
On pourrait utiliser les mêmes raccourcis éthiques et moraux pour justifier un monument encore plus imposant aux victimes du capitalisme. Mais nos deux grands partis fédéraux étant les représentants du grand capital, ils n'ont aucun intérêt à le faire. Des partis légitimes d'ici y compris le NPD, et aux États-Unis le vieux Bernie Sanders, ont rendu le mot «socialisme» relativement inoffensif, mais la présence dans l'histoire d'ogres comme Staline, ainsi que les régimes qu'il asservissait, ou de Pol Pot, ou d'un fou comme Kim Jong-un, qui se réclament (faussement) du communisme, fait que le communisme-bashing reste vendable en 2016…
Pourtant, il ne subsiste plus qu'une poignée de régimes s'affirmant plus ou moins communistes sur la planète - Chine, Viet-Nam, Corée du Nord, Cuba, et quelques autres - pendant que les tenants d'un capitalisme débridé, déréglementé et cupide à l'excès continuent d'étendre leurs tentacules sur la planète et d'accumuler par millions de nouvelles victimes à tous les ans.
Stephen Harper et son entourage épeurant ont tout fait pendant neuf ans pour tirer le pays à droite et en arrière vers des valeurs rétrogrades et antidémocratiques. Leur insistance sur les exploits militaires, leur promotion outrancière de la monarchie, leur manque total de respect pour les institutions parlementaires, leur poussée de privatisations de services gouvernementaux, et leur asservissement de la fonction publique au secteur privé, tout cela faisait partie d'une offensive calculée et intégrée. Le monument aux victimes du communisme émane de la même stratégie globale.
Ce monument, tel que conçu, constitue un affront à l'histoire et à la vérité. Que le gouvernement actuel veuille le réaliser, même avec des modifications, nous dit à quel point il est capable de servir les mêmes intérêts idéologiques que le précédent. Patrimoine canadien a réalisé un sondage en février 2016 sur ce projet, dont nous n'avons pas les résultats. Il devait annoncer un projet modifié au début du printemps. Ce délai est à peu près dépassé. On saura sans doute très bientôt à quoi s'en tenir. Voir http://bit.ly/20zsqis.
Une chose est sûre. Ce monument a essentiellement une valeur symbolique, mais les symboles ont une grande importance dans toute société. Les monuments qu'on érige témoignent aussi des valeurs que l'État épouse et défend...
Allez proposer au gouvernement Trudeau d'ériger une statue aux victimes de l'islamisme, et voyez sa réaction. On vous chassera en agitant des colliers de gousses d'ail et en vous accusant de souffler sur les braises de l'intolérance. Apparemment, pour l'islamisme, nos vaillants dirigeants savent distinguer entre la philosophie et les extrémistes qui s'en servent pour tuer des gens et brimer les libertés. Puissent-ils se servir un jour de cette même qualité de jugement pour faire les distinctions qui s'imposent entre le communisme comme doctrine et les dictateurs qui l'ont détournée à des fins parfois monstrueuses.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire