L'éclatement des quartiers urbains franco-ontariens depuis les années 1960 n'a pas fait l'objet d'une tonne d'études. En tout cas, j'en connais peu. De fait, c'est un sujet plus ou moins tabou parce qu'il exige de regarder crûment, en face, les problèmes réels des francophones dans des villes comme Ottawa, Sudbury, Cornwall, et dans tous les milieux urbains où, jadis, existaient des communautés dont la langue commune était le français.
Je sais qu'une doctorante de l'Université d'Ottawa, Mme Caroline Ramirez, prépare présentement une thèse sur les conséquences désastreuses de la rénovation urbaine des années 1960 et 1970 pour la collectivité canadienne-française de la Basse-Ville d'Ottawa. Assez curieusement, l'auteure de la thèse est une Française de Lyon… Les étrangers sont parfois plus prompts à jeter un regard pénétrant sur le vécu d'ici…
Quelqu'un de la trempe de Mme Ramirez se penchera-t-il un jour sur l'effritement de mon ancien quartier francophone d'Ottawa, situé un peu à l'ouest des édifices du Parlement et des plaines Lebreton? Les anglophones donnent à cet endroit le nom de «Hintonburg», mais nous appelions «St-François d'Assise» et «Mechanicsville» la partie la plus francophone de Hintonburg, entre la rue Wellington et la rivière des Outaouais. Nous y étions fortement majoritaires autrefois.
De 1957 à 1967, il a existé dans les paroisses St-François d'Assise et Notre-Dame-des Anges (adjacentes et correspondant au territoire mentionné ci-haut) un «cercle» local de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne (AJFO). Sur ces dix années, entre 150 et 200 jeunes ont fréquenté le «cercle» de l'AJFO - en participant à ses réunions ou à ses activités. Le groupe s'est éteint faute d'intérêt et de relève en 1967 et j'en ai conservé les archives, pour qu'elles ne se retrouvent pas à la poubelle…
L'immense majorité des membres de l'AJFO St-François d'Assise demeuraient dans le périmètre des deux paroisses, quoique dans les dernières années du cercle, avec l'expansion de l'immense complexe fédéral de Tunney's Pasture, on constatait déjà le départ de plusieurs familles. Quoiqu'il en soit, nous avions décidé d'organiser des retrouvailles dix ans après la fin des activités de l'AJFO. La rencontre a eu lieu au sous-sol de l'église St-François d'Assise le 16 octobre 1977 et j'ai toujours chez moi le registre signé par tous les participants et participantes.
Quelque 81 personnes étaient présentes à ces retrouvailles (dont trois prêtres capucins de la paroisse), soit plus de 40% des effectifs de l'ancien cercle franco-ontarien. Une excellente participation! Et tous, toutes, ont laissé leurs coordonnées en vue d'une future réunion, que nous espérions pour 1987. Elle n'a jamais eu lieu… J'ai cependant décortiqué les noms et adresses et j'ai pu reconstituer un portrait frappant de la désintégration d'une communauté franco-ontarienne en une décennie à peine.
Si l'on soustrait les trois religieux, il reste 78 signataires dans notre registre. De ce nombre, seulement six demeuraient toujours dans l'une des deux paroisses du cercle en 1977! Moins de 10% du total. Plus de 90% des anciens membres de notre AJFO avaient quitté le quartier. L'immense majorité de ces anciens «jeunes» restaient domiciliés dans la grande région de la capitale, mais ailleurs que dans St-François d'Assise ou Notre-Dame-des-Anges.
Une statistique frappe au départ. La moitié des 78 avaient traversé la rivière et habitaient désormais le Québec! (39 sur 78). De ces trente-neuf, 18 avaient élu domicile à Gatineau (c'était bien avant la méga-fusion de 2002), 8 se retrouvaient à Hull et 8 autres à Aylmer. Les cinq derniers demeuraient dans des localités de la grande région de Montréal (Laval, Brossard et Pierrefonds).
Quant à ceux et celles qui continuaient de vivre en sol ontarien, autre que les six du quartier, neuf étaient domiciliés dans l'ouest d'Ottawa, quatre au centre-ville, huit dans l'est de la ville, sept à Orléans (alors une banlieue) et quatre dans les villes adjacentes (Gloucester, Nepean, Navan). Enfin, un des anciens s'était exilé à South Porcupine, dans le Nord ontarien. Pour un total de 39…
On a beaucoup parlé, récemment, de l'émigration des jeunes dans des localités ou quartiers à forte présence francophone (http://bit.ly/1Lskyua). Voici un cas vécu. Aujourd'hui, les francophones sont minoritaires dans les rues que nous avons arpentées dans notre enfance. Notre petit registre de 1977 en constitue un témoignage éloquent. Il serait intéressant de voir si de tels registres ou documents existent ailleurs…
Un ou une volontaire pour une nouvelle recherche doctorale?
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