lundi 29 juin 2015

Le regard des autres...

Je viens d'achever la lecture de La Souveraineté en héritage de Jacques Beauchemin, une oeuvre qui m'apparaît importante dans le cadre des débats identitaires actuels au Québec et dans les collectivités francophones ailleurs au Canada.

Or, l'image qu'on projette comme peuple constitue l'un des thèmes récurrents du livre. Donnons-nous l'impression d'être nés pour un petit pain, comme on disait jadis, ou sommes-nous devenus (ou pouvons-nous devenir) «quelque chose comme un grand peuple»? C'est sans doute parce que ce jaugeage de nos grandeurs et misères n'a jamais fait l'unanimité que nous restons fascinés par ce que des étrangers peuvent découvrir chez nous, par leurs perceptions et leurs jugements, souvent éclairants.


À la mi-juin (2015), l'Université d'Ottawa accueillait «L'université d'été sur la francophonie des Amériques», et le chroniqueur Denis Gratton du quotidien Le Droit (Ottawa, Gatineau) en a profité pour interviewer trois participantes étrangères: du Texas, de la Louisiane et du Brésil. Et chacune, en plus d'aborder la situation de la langue française dans son coin de pays, en a profité pour glisser quelques commentaires révélateurs sur la francophonie québécoise et canadienne.


1. Laura Atran-Fresco, professeure de français à l'Université de la Louisiane à Lafayette.

Née d'une mère parisienne et d'un père new-yorkais, à la fois citoyenne de France et des États-Unis, Mme Atran-Fresco a choisi de vivre chez les Cajuns en Louisiane pour «enrichir ses connaissances sur la francophonie en milieu minoritaire» et, finalement, pour y enseigner le français.

Cela, à prime abord, ne semble guère lié à la francophonie québécoise, jusqu'à ce qu'on apprenne  qu'elle avait, durant ses études, participé à un stage à l'Université de Montréal dans le cadre d'un programme d'échanges. «C'est à Montréal que je suis tombée amoureuse de la francophonie en Amérique du Nord. Donc je suis repartie pour les États-Unis, mon deuxième pays, pour découvrir les Cadiens du sud de la Louisiane.»

Cette jeune femme de 29 ans aurait pu faire carrière à Paris ou à New York, deux des pôles culturels les plus attrayants de la planète, mais c'est la métropole québécoise, toujours en ébullition, qui aura exercé sur elle l'influence déterminante. En dépit des menaces que courent ici la langue et la culture françaises, Montréal compte parmi les carrefours majeurs de la francophonie mondiale, et reste un phare pour les collectivités francophones nord-américaines.

2. Florina Matu, professeure de français à l'Université d'Austin, au Texas

Voilà décidément un cas assez unique, une Roumaine qui émigre aux États-Unis à l'âge de 25 ans et qui décroche un doctorat en lettres françaises à l'Université de l'Alabama, pour ensuite enseigner à Austin, capitale du Texas. On comprend un peu mieux le lien avec la francophonie quand on sait que la capitale texane est jumelée à la ville d'Angers, en France, mais on reste loin du bassin du Saint-Laurent.

Or, dans son entrevue au Droit, Mme Matu révèle qu'elle «prend toutes les opportunités» de parler du Québec à ses étudiants et qu'elle utilise un outil pédagogique inattendu… et bien de chez nous: les vidéos des Têtes à claques… «Il y a, par exemple, dit-elle, une vidéo des Têtes à claques sur un prof pas comme les autres. C'est l'histoire de Bégin, un élève victime du prof vieux jeu qui hurle et qui le terrorise. Donc cette petite vidéo - non seulement est-elle amusante - mais elle me sert d'introduction au vocabulaire en salle de classe.»

Qui, ici au Québec, aurait pu imaginer que les Têtes à claques pouvaient servir à l'apprentissage du français au Texas, par l'entremise d'une prof originaire de Roumanie? Cela sert tout au moins à démontrer l'originalité des liens tissés entre les îlots et collectivités francophones autour de la planète, mais aussi le rôle particulier de création et de diffusion qui incombe aux pays, comme le Québec, où la langue commune de l'ensemble de la société reste le français. 

3. Mariza Pereira Zanini, professeure de français à l'université fédérale de Pelotas, au Brésil

Originaire de Pelotas, ville de 340 000 habitants située au sud du Brésil, non loin de la frontière de l'Uruguay, Mme Zanini a appris le français à l'université puisque cette langue n'est enseignée ni au primaire, ni au secondaire. Avant d'entreprendre ses études universitaires, elle ne parlait donc que le portugais, la langue de plus de 200 millions de Brésiliens (...et 3e langue des Amériques après l'espagnol et l'anglais). Et sa visite à l'Université d'été sur la francophonie des Amériques était sa première présence en sol canadien.

Je ne sais pas si elle a eu l'occasion de traverser la rivière des Outaouais et de se rendre au Québec, mais ses commentaires sur la capitale canadienne sont révélateurs. Les premières impressions sont parfois les plus justes... Le chroniqueur du Droit lui demande durant l'entrevue si elle a été surprise du nombre de francophones qui vivent à Ottawa. Voici sa réponse: «Pour être honnête, je pensais que cette ville était beaucoup plus francophone. (Rires). J'ai été très bien reçue. Mais à l'extérieur du campus universitaire, j'ai eu l'impression que c'est en anglais que ça se passe. Les chauffeurs de taxi ne parlent que l'anglais. Je cherchais un souvenir dans le marché By mais ça ne marchait pas en français. Et puisque mon anglais est terrible, il a fallu que je me débrouille.»

Sa description de la capitale correspond à la réalité. Sauf pour l'offre de services et l'affichage officiel des gouvernements fédéral et municipal, et quelques quartiers avec des concentrations francophones, Ottawa présente une façade (et une réalité derrière la façade) largement unilingue anglaise. Et ça empire un peu à tous les ans. Un exemple frappant? Fraîchement rénové à grand coût, le mail commercial Centre Rideau, le seul du centre-ville, situé entre le campus de l'Université d'Ottawa et le Parlement fédéral, adjacent à la Basse-Ville (jadis beaucoup plus francophone), propose à sa clientèle un visage commercial tout à fait anglais. On pourrait se croire à Calgary…

Un dernier commentaire sur Mme Zanini, autre que pour noter son bon esprit d'observation… Aux Philippe Couillard et compagnie qui ne voient que l'anglais intensif pour les petits francophones du Québec, voilà une érudite de l'Amérique du Sud, de langue portugaise, entourée de pays hispanophones, qui a choisi comme langue seconde le français. Et elle n'est pas seule. Il y a là une leçon pour nous. Le bilinguisme et le plurilinguisme, pour ceux et celles qui le désirent ou en ont besoin, ne passe pas nécessairement ou uniquement par la langue de nos voisins…

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