J'étais en train de lire au sujet de l'opinion publique anglo-ontarienne durant la crise du Règlement 17, en 1912, quand j'ai été informé par Facebook de la décision du CSDCEO (Conseil scolaire de district catholique de l'Est ontarien) d'enseigner l'anglais aux élèves francophones à partir de la maternelle dans ses écoles de Vankleek Hill, L'Orignal, Hawkesbury et Saint-Eugène. Je n'ai pas de mot juste pour décrire ma réaction. Mettez des parts égales de colère et de tristesse dans un contenant et brassez-le vigoureusement… ouais, c'est à peu près ça.
Les conseillers scolaires qui ont pris cette décision, et les parents qui leur ont demandé de la prendre, auraient avantage à lire le livre Le siècle du Règlement 17, une oeuvre collective sous la direction des professeurs Michel Bock et François Charbonneau, de l'Université d'Ottawa, sortie en librairie cette semaine. Ça changerait leur humeur, et peut-être auraient-ils le goût - connaissant mieux l'histoire des écoles franco-ontariennes - de ne pas répéter «les erreurs du passé», comme le disait fort bien hier Tina Desabrais, présidente de l'ACFO de Prescott-Russell.
Après s'être retrempés dans les persécutions maintenant centenaires dont avaient été victimes leurs grands-parents et arrière-grands-parents, ces mêmes conseillers scolaires et citoyens pourraient se taper quelques pages de statistiques du recensement fédéral de 2011 - notamment celles qui permettent de brosser un portrait linguistique précis des communautés dans lesquelles ils veulent atteler leurs tout-petits à l'apprentissage d'une langue seconde qu'ils ne connaîtront que trop bien.
Ils s'apercevraient vite qu'il n'y a aucun problème de bilinguisme chez les francophones de l'Est ontarien, même dans les municipalités et localités où ils forment une majorité écrasante. La grande majorité des Franco-Ontariens de Prescott-Russell sont bilingues. Trop, même. Plusieurs s'anglicisent. Ce sont plutôt les anglophones qui auraient besoin de cours de français, parce que plus de la moitié d'entre eux restent unilingues anglais même dans des milieux majoritairement francophones. Ils peuvent passer toute une vie dans une ville comme Hawkesbury (et le font) sans être obligés d'apprendre le français!
De fait, dans les quatre localités où le Conseil veut implanter le programme très, très précoce d'anglais, les transferts linguistiques favorisent l'anglais même quand la minorité anglophone forme moins de 20% de la population. Il y a déjà assimilation - pas trop inquiétante pour le moment mais quand même - à Hawkesbury et à L'Orignal, les deux municipalités les plus francophones du groupe. Une comparaison des chiffres de la langue maternelle et de la langue d'usage (la langue la plus souvent utilisée à la maison) permet d'y voir clair très vite.
Prenons Hawkesbury, la seule ville ontarienne de 10 000 habitants et plus à majorité francophone. Environ 15% de la population est de langue maternelle anglaise, mais cette proportion grimpe à plus de 18% en utilisant le critère de l'anglais langue d'usage. Cela signifie qui quelques centaines de francophones de Hawkesbury parlent le plus souvent l'anglais à la maison. Comparez avec la majorité francophone: 79% de langue maternelle française, 77% selon la langue d'usage… Une perte, légère mais réelle… Et environ 60% des anglophones y sont unilingues…
La situation à L'Orignal, une localité d'environ 2000 habitants adjacente à Hawkesbury, est similaire, avec de légères pertes pour la langue française, et de légers gains pour l'anglais. C'est ici cependant que les anglophones sont les plus bilingues (55%), quoique moins que les francophones (plus de 75%).
C'est plus dramatique à Vankleek Hill, un gros village de près de 2000 habitants au sud de Hawkesbury. Les anglophones y sont en majorité (58% de langue maternelle anglaise), contre 37% de francophones. Selon le recensement de 2011, le taux d'assimilation des francophones dépasse déjà le seuil des 15%. Les chiffres de la langue d'usage en témoignent: 67,5% pour l'anglais, seulement 30,6% pour le français. C'est moins désolant qu'ailleurs en Ontario, mais le taux massif de bilinguisme chez les francophones (plus de 85%) indique que l'érosion du français s'accélère…
Quant à Saint-Eugène, le recensement de 2011 n'a pas de données pour cette localité seule. Il faut prendre l'ensemble du canton de Hawkesbury-Est, où la majorité francophone de 59% rétrécit à 56% quand on la mesure selon la langue d'usage. En utilisant la même méthode, la minorité anglophone passe de 34% (langue maternelle) à 40% (langue d'usage). Et encore là, ce sont les anglophones qui sont le plus souvent unilingues…
Il y avait hier un débat fort animé sur la page Facebook Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne (http://on.fb.me/1FK7o4U), justement sur cette question de l'anglais à la maternelle au CSDCEO. Confrontés à l'histoire des écoles françaises en Ontario et aux données crues du recensement fédéral, sans oublier les nombreuses études sur les transferts linguistiques et identitaires en Ontario français, les conseillers scolaires doivent absolument reprendre la discussion et étudier plus à fond les conséquences.
Les comtés unis de Prescott-Russell sont l'une des rares régions de l'Ontario où l'on pourrait toujours présenter un visage franco-ontarien dans la rue, dans l'affichage public et commercial, dans les réunions et assemblées publiques, et même dans la plupart des milieux de travail. Si les conseillers scolaires francophones ont à coeur leur langue et leur identité, la direction à prendre n'est pas d'accentuer l'anglais. Vivement, demi-tour!
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