mardi 14 juillet 2015
Un Bloc québécois associé à un Bloc canadien?
Même si je ne partage pas pleinement le regard du professeur François Charbonneau (Université d'Ottawa) sur les principes de l'esprit démocratique ou la logique politique, son idée de créer un parti pan-canadien allié ou associé au Bloc québécois (http://bit.ly/1DevYKd) mérite certainement qu'on en discute. Un tel projet, s'il était sérieusement mijoté et soutenu par des individus crédibles hors-Québec, pourrait un jour (pas en 2015) attiser quelques braises utiles…
Mais commençons par liquider la prémisse qui me chicote. Le Bloc québécois ne représente pas les intérêts d'une région, ainsi que l'affirme François Charbonneau, mais bien ceux d'une nation. Or, les institutions politiques fédérales du Canada sont singulièrement déficientes quand vient le temps d'offrir une tribune à la nation francophone du pays. C'est peut-être le vice fondamental de la fédération.
Sauf rares exceptions (le Crédit social sous Caouette, le NPD sous l'effet de la vague Layton), dans les grandes formations politiques du Canada, et particulièrement au sein du parti au pouvoir, les députés québécois et la grappe de députés canadiens-français hors-Québec sont et seront minoritaires... La Chambre des Communes a beau avoir reconnu l'existence d'une nation québécoise en 2006, cette reconnaissance reste une coquille vide sans la présence d'un parti comme le Bloc québécois, qui siège à la fois comme porte-parole des électeurs de ses circonscriptions et comme porte-étendard d'une collectivité nationale.
Bien sûr le Bloc ne peut, seul, aspirer au pouvoir. Il participe loyalement dans l'opposition ou dans des alliances occasionnelles, laissant savoir au reste du Canada ce que ferait le Québec s'il était un pays souverain et en mesure de prendre seul les décisions, pan-canadiennes et internationales, qui relèvent présentement des autorités fédérales. La véritable prise du pouvoir, dans cette vision des choses, ne peut se faire qu'à l'Assemblée nationale, après une consultation référendaire et une négociation.
Un parti «indépendance-association»?
L'idée que le Bloc québécois puisse, même brièvement, «co-occuper» le pouvoir à Ottawa semble farfelue, mais la chose serait possible - en théorie - si le parti trouvait un nombre suffisant d'alliés dans les autres provinces et si ces derniers réussissaient à convaincre une majorité d'électeurs d'appuyer un programme de «divorce à l'amiable» dans plus une centaine ou plus de circonscriptions… Y a-t-il vraiment quelqu'un qui, dans ses rêves les plus colorés, puisse croire à la victoire d'un parti fédéral «indépendance-association»? Poser la question c'est y répondre...
Le professeur Charbonneau affirme toutefois qu'il «ne faut pas sous-estimer le nombre de Canadiens anglais qui ne jugent pas catastrophique la perspective de voir le Québec devenir un État indépendant», et qu'il y aurait sans doute une valeur politique à présenter des candidats d'un hypothétique Bloc québécois-canadien d'un océan à l'autre… si ce n'était que pour offrir un exutoire aux sympathisants hors-Québec d'un divorce à l'amiable entre le Canada anglais et le Québec.
Bien choisir ses alliés
Tel que je le perçois, en supposant que le Bloc québécois manifeste une improbable ouverture à un semblable projet, le principal problème serait de bien choisir ses alliés, en supposant que tels alliés existent et qu'ils soient eux aussi prêts à faire le grand saut en politique. Car au Canada anglais, me semble-t-il, les appuis possible à l'indépendance du Québec oscillent entre deux pôles: ceux qui, dans une certaine gauche anglo-canadienne, reconnaissent la valeur de la souveraineté-association pour des motifs similaires à ceux des souverainistes québécois; et ceux qui, dans une droite plutôt intolérante, souhaitent le départ à coups de pied d'un Québec qui leur tape royalement sur les nerfs.
On a vu ces deux pôles en action durant le débat sur la défunte charte de la laïcité du gouvernement Marois en 2013 et 2014. Des observateurs médiatiques ont été ahuris de découvrir qu'en Ontario, près de 40% de l'opinion publique était favorable aux principes de la charte québécoise… mais pas tous pour les mêmes motifs. Entre, d'un côté, les partisans d'une noble idéologie de stricte laïcité, et de l'autre, les rednecks xénophobes qui détestent les immigrants porteurs de signes et valeurs différents des leurs, l'opposition ontarienne aux signes religieux ostentatoires réunissait sous son parapluie amis et ennemis…
Le Bloc québécois voudra donc avoir à ses côtés des alliés à gauche du centre, francophiles et ouverts à une éventuelle association ou collaboration avec un Québec souverain. Les promoteurs d'un Bloc canadien associé se trouveront donc dans l'obligation de marauder les châteaux forts traditionnels du NPD pour trouver ce type de clientèle. Les milieux universitaires pourraient aussi constituer un terreau fertile. En tout cas, je serais curieux d'entendre quelques anglophones sur cette question…
Les francophones hors-Québec?
Le projet de présenter des candidats sympathiques au Bloc québécois dans des circonscriptions hors-Québec aurait aussi de l'intérêt dans la mesure où il permettrait de mesurer les sympathies québécoises des francophones dans des régions où ils sont plus fortement concentrés. Le professeur Charbonneau ne parle pas des minorités canadiennes-françaises (autre que pour préciser qu'elles seraient protégées en cas de divorce à l'amiable, comme la minorité anglophone au Québec) mais il serait sans doute l'un des premiers à vérifier les résultats du candidat du Bloc (canadien?) dans une circonscription comme Glengarry-Prescott-Russell, en Ontario, où les francophones sont majoritaires…
Les dés sont jetés pour 2015, et le Bloc devra se débrouiller comme il l'a fait, le plus souvent fort bien, depuis 1990. Avec le retour de Gilles Duceppe, avec le défrichage accompli par Mario Beaulieu, avec le soutien actif du Parti québécois et de son nouveau chef, le Bloc a des chances de reprendre quelques dizaines de circonscriptions et de se redonner un élan. Et si l'élection québécoise de 2018 ramène le PQ au pouvoir, la marmite constitutionnelle recommencera à bouillir. D'ici là, le projet du professeur François Charbonneau pourrait sans doute susciter quelques débats opportuns des deux côtés de la frontière linguistique…
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