lundi 8 juillet 2013

Les trains de mon enfance

J'ai passé mon enfance tout près d'une voie ferrée, dans l'ouest d'Ottawa. Les rails traversaient le centre de notre quartier essentiellement francophone, le sectionnant : le secteur St-François d'Assise au sud (moins pauvre) et Mechanicsville (prononcer Mécanique-ss-ville) adossé à la rivière des Outaouais. Le sifflement et le chougg-chougg-chougg des locomotives à vapeur en accélération, suivi qui claque-e-claque des wagons sur les rails d'acier faisaient partie de notre quotidien.

Je demeurais au coeur de Mechanicsville. Nos mères pestaient parfois contre le transport ferroviaire quand le vent du sud transportait la « fumée » des locomotives jusque sur leurs cordes à linge, le lundi (journée de lessive je crois). Mais pour plusieurs d'entre nous, les trains étaient une interminable source de joie et de plaisir. Nous aimions rôder autour d'une immense structure circulaire vitrée et sale, contenant une plaque tournante remplie de belles locomotives à vapeur sur des rails disposés comme des rayons vers l'extérieur à partir du centre.

À côté il y avait la vieille gare du Canadien Pacifique, aujourd'hui démolie comme le carrousel des locomotives, remplacés par un centre sportif et un pont... Même la voie ferrée est-ouest a disparu, cédant sa place à une voie rapide pour autobus... Mais dans notre enfance, je ne compte pas le nombre de fois où nous avons marché en équilibre sur les rails, y collant à l'occasion une oreille pour entendre la vibration lointaine d'un train en approche, certains y déposant un sou pour conserver dans leur collection une pièce de monnaie aplatie par une locomotive...

Nous aimions aussi rester blottis près du fossé avoisinant les rails pour voir de très près les convois, compter le nombre de wagons, lire les inscriptions, imaginer leur contenu... jusqu'au wagon de queue (la cabousse...). Nous savions que c'était dangereux, et que nos parents n'auraient guère apprécié de savoir que la voie ferrée était un de nos terrains de jeux... Sans doute le savaient-ils au fond, eux qui avaient grandi dans le même quartier... Mais pour nous, enfants parfois trop confiants, les trains n'étaient que des amis... Je ne serais pas surpris que l'engouement pour les trains électriques, comme jouets pour jeunes et adultes, ait atteint son apogée à cette époque (les années 1950).

J'ai demeuré là assez longtemps pour voir la disparition des trains à vapeur et l'arrivée des diésels argentés scintillants. Puis nous avons quitté le quartier et les chemins de fer sont devenus d'heureux souvenirs d'enfance. Jamais d'accident majeur, que je me souvienne. Jamais de tragédie qui m'a marquée. Une cohabitation paisible et agréable, sauf pour les vents du sud les journées de lessive...

Puis alors que j'étais déjà journaliste dans les années 1970, un collègue a perdu la vie, mourant au bout de son sang après qu'un train eut amputé une de ses jambes en pleine nuit dans l'ancienne ville de Hull. Le train ne s'était jamais arrêté et personne n'avait été témoin de l'accident. Il avait sur lui une enregistreuse, et avait laissé un enregistrement de son agonie et de ses dernières paroles. Quelle horreur. Une tache de sang sur mes souvenirs de rails propres et luisants d'autrefois.

Puis, cette fin de semaine, Lac Mégantic. Là aussi, la voie ferrée côtoyait habitations et commerces. Depuis toujours. Les enfants, les adolescents, les adultes, tous la traversaient quotidiennement. Tous ont dû marcher sur les rails, se blottir dans un fossé pour compter les wagons, s'endormir ou s'éveiller en entendant le claque-e-claque des wagons... sans jamais s'y sentir en danger. On a comme cette confiance innée que les responsables ferroviaires ne mettraient pas nos vies à risque, et qu'à moins d'imprudence de notre part, les trains logent du côté heureux de notre cerveau...

Et puis en un instant, tout saute. Un mur de feu souffle un quartier et toutes les vies humaines innocentes qui n'avaient commis aucune imprudence et qui, comme moi dans mon enfance, n'avaient aucun sens qui danger mortel qui les guettait, s'éteignent. Parce qu'ailleurs, des imprudences, des fautes ou des accidents de parcours avaient signé leur arrêt de mort...

Une des morales de cette histoire, pour moi du moins? Le passé fait partie du présent, et chaque nouvelle expérience en colore nos perceptions. Ce matin, mes souvenirs d'enfance sont ternis...






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