jeudi 15 octobre 2015

Là où le coeur de l'humanité semble battre avec plus d'intensité...

Je n'avais jamais mis les pieds en Allemagne avant ce début d'octobre 2015. Ayant beaucoup lu sur la Seconde Guerre mondiale et visité avec grande émotion les plages du débarquement en Normandie, à l'automne 2013, j'étais curieux d'en apprendre davantage, en sol allemand, au sujet de quelques-unes des villes ou localités gravement touchées par les combats ou les bombardements.

La croisière fluviale sur le Danube, la Main et le Rhin que j'avais entreprise avec mon épouse nous avait d'abord dirigés vers Budapest (Hongrie), Vienne (Autriche) et Bratislava (Slovaquie). Toutes portent des cicatrices de la guerre 39-45. Mais contempler le balcon où Hitler, au coeur de Vienne, a proclamé l'annexion de l'Autriche au Reich, ce n'est rien comparé au frisson d'horreur ressenti au «Zeppelin champ» de Nuremberg, en Allemagne, siège des plus grands déploiements nazis…

Le centre-ville de Wertheim

Et pourtant, c'est dans la petite ville de Wertheim (11 000 habitants), juste au nord de la Bavière, que s'est produit l'un de ces moments souhaités dans ce genre de voyage. Cette municipalité aux allures presque médiévales n'a pas été ravagée par la guerre. Elle conserve tout son charme ancien. Le jour où les bombardiers anglais allaient l'aplatir en 1944 ou 1945, un brouillard enveloppait la région et les avions ont détruit à la place leur objectif secondaire, la ville de Wurzburg, à 30 kilomètres de là.

Mon épouse et moi avions choisi, ce 7 octobre 2015, de suivre un guide de l'endroit pour une visite à pied du centre-ville, puis du cimetière juif de Wertheim. Je ne me souviens pas du nom de notre guide (j'aurais dû le noter), mais elle n'était pas historienne. Juste une femme au foyer, insistait-elle, qui s'était donné la peine de mieux connaître sa région et son histoire. J'aurais aimé avoir des pédagogues comme elle à l'université…

Rassemblés à un carrefour du centre-ville, tout près de l'endroit où il y avait jadis (jusqu'aux années 30) une synagogue et une communauté juive, nous l'avons écoutée évoquer sans esquive le sort réservé aux Juifs allemands et aux millions d'autres des pays conquis par les armées hitlériennes. À la fin de la guerre, disait-elle, les gens d'ici ont pour la plupart affirmé ne pas avoir été au courant des atrocités commises par le régime.

La photo du même centre-ville en 1938

Se disant très sceptique face à ce déni collectif, notre guide allemande a sorti un carnet de photos - dont une de 1938 montrant l'endroit précis où nous nous trouvions. La rue était pavoisée de croix gammées et remplie de soldats et de citoyens participant à une quelconque cérémonie nazie. Son message était clair: Hitler et son programme antisémite avaient ici, comme ailleurs en Allemagne, une majorité d'adhérents et la nation allemande doit porter une responsabilité collective pour «la solution finale».

Mais - il y a toujours un «mais», n'est-ce pas? - elle a rappelé qu'avant la guerre, Hitler ne s'était pas encore résolu à tuer les Juifs allemands (il en restait 200 000 en 1939). Il voulait surtout leurs biens et leur argent. Ils auraient pu quitter le pays à condition que d'autres nations soient prêtes à les accueillir. Or, à l'exception des États-Unis, les preneurs se sont faits rares.

Le premier ministre canadien Mackenzie King, ajouta-t-elle, avait alors déclaré qu'un Juif de plus était un Juif de trop… Ce que j'ai entendu, en anglais, c'était quelque chose comme «One Jew is one too many»… (J'ai vérifié au retour du voyage, et la citation, prononcée par un fonctionnaire canadien de haut rang, pas le premier ministre, était «None is too many»…). Enfin, sur le fond elle avait raison.

Ayant accepté l'héritage et la responsabilité des horreurs commises par les siens, elle pouvait bien se permettre de noter à ses visiteurs qu'ils doivent aussi scruter leur histoire et apporter, parfois, des nuances qui s'imposent dans leurs jugements.


En se rendant à pied au cimetière juif, quelques minutes plus tard, elle a montré une bannière accrochée à un balcon d'appartement, sur laquelle on pouvait lire (en anglais) Refugees welcome. Notre brave guide n'a pas manqué de souligner que l'Allemagne s'apprêtait à accueillir 1,5 million de ces réfugiés syriens et autres dans un territoire qui compte déjà plus de 80 millions d'habitants et qui n'est guerre plus grand que l'État américain du Montana… Dans leur âme, les Allemands expient toujours - en accueillant ces migrants - les crimes des générations précédentes…

Au cimetière, planté sur une colline à pic où l'on a peine à se tenir sans s'accrocher, la destruction n'a été que partielle. Une grande partie des tombes, pour une raison inexplicable compte tenu de la barbarie du régime nazi, sont intactes. Les petites pierres déposées sur les tombes, selon la tradition juive, semblent indiquer que des descendants viennent toujours rendre hommage aux anciens enterrés ici. Un lieu de pèlerinage pour certains, de réflexion pour nous…

L'entrée du cimetière juif de Wertheim

En revenant au Québec, je me trouve replongé dans cette campagne électorale interminable (moins longue que chez nous, m'ont dit de nombreux Américains rencontrés durant la croisière) et dans les enjeux familiers de notre petite nation nord-américaine. Mais je resterai marqué par ce court séjour dans des pays que je n'avais jamais visités, et où le coeur de l'humanité semble battre avec plus d'intensité - et depuis bien plus longtemps - qu'ici…

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