Quand Pierre Elliott Trudeau et sa cohorte de députés libéraux du Québec ont entériné la nuit des longs couteux de 1981 et imposé leur coup d'État constitutionnel l'année suivante, cette Charte des droits et libertés qui refuse de reconnaître même l'existence d'une société distincte au Québec, ils l'ont fait en se disant légitimes représentants des citoyens québécois qui les avaient élus. Et ils avaient raison!
Quand le nouveau gouvernement Trudeau reprendra à son compte la contestation judiciaire de la Loi 99 du Québec qui affirme la légalité d'un vote de sécession à 50% plus un, il le fera avec l'accord de ses 40 députés québécois, et en affirmant que ces derniers représentent la volonté des citoyens qui les ont élus le 19 octobre 2015. Et il aura raison!
Quand un gouvernement fédéral, quel qu'il soit, dépensera des milliards pour acheter des avions de chasse F-35, pour s'ingérer dans les compétences provinciales en éducation, en santé, en affaires urbaines, pour affirmer sa présence aux Nations Unies ou dans différentes organisations ou traités internationaux, il le fera avec mes impôts, nos impôts… en vertu de priorités et politiques adoptées avec l'accord de députés québécois siégeant dans les rangs gouvernementaux.
Pendant 18 ans, de 1993 à 2011, les gouvernements Chrétien, Martin et Harper n'ont pas eu ce luxe de leurs prédécesseurs, celui de pouvoir dire qu'une majorité des députés du Québec avaient été élue sous leur bannière. Le Bloc leur rappelait à tous les jours que que les Québécois forment une nation distincte, que cette nation ne se reconnaît pas toujours dans les partis pan-canadiens et qu'elle a, si elle choisit de le faire, le droit de s'exprimer collectivement au Parlement fédéral.
On voudrait aujourd'hui, même dans les rangs souverainistes, nous faire croire à la non-pertinence du Bloc, ainsi qu'à l'inutilité de s'engager comme indépendantistes au palier fédéral. C'est oublier qu'il n'existe plus de partis authentiquement fédéralistes à Ottawa. Tous sont désormais centralisateurs à l'excès et se soucient peu de l'équilibre qui doit exister entre l'État central et les États fédérés dans une vraie fédération.
Élire une majorité de députés libéraux, conservateurs et/ou néo-démocrates à Ottawa, c'est voter contre soi-même, comme nation, et cela est vrai qu'on soit indépendantiste ou authentiquement fédéraliste. De Duplessis à Lesage à Bourassa à Lévesque à Parizeau à Landry à Charest à Couillard, tous les gouvernements québécois ont eu maille à partir avec l'appareil fédéral. Et la présence massive de députés québécois francophones au gouvernement central n'y a pas changé grand-chose…
Alors, tant qu'à avoir une quarantaine, une cinquantaine ou une soixantaine de députés qui remplissent bien tranquillement quelques fauteuils ministériels et beaucoup de sièges d'arrière-ban, tous soumis implacablement à la discipline d'un parti qui sera toujours ultimement le reflet de la majorité (anglo-canadienne), pourquoi ne pas assumer pleinement et dignement notre statut de minoritaire en se tenant debout… dans une formation qui soit bien davantage à notre image (culturelle et politique).
Entre un député trop souvent silencieux qui estampille des décisions pan-canadiennes prises par le premier ministre, le cabinet ou le grand capital qui tire ses ficelles, et celui ou celle du Bloc québécois qui dit à cette majorité canadienne «voici que nous ferions si nous avions seuls le droit de décider», le résultat sera peut-être plus souvent qu'autrement le même mais au moins les élus du Bloc auront-ils eu l'occasion de parler plus librement, dans l'honneur et la dignité.
De toute façon, peu importe la situation, que mon député soit libéral, néo-démocrate ou bloquiste, il sera minoritaire comme Québécois et comme francophone dans ce parlement. Il (elle) pourra critiquer, vociférer, suggérer, commenter, rire, pleurer… mais pas décider. Ça, on peut le faire seulement à Québec. Mais tant que le gouvernement fédéral dépensera nos sous et prétendra parler en notre nom, nous avons le devoir de conserver à Ottawa notre droit de parole.
La question, c'est de savoir à qui nous voulons confier ce droit de parole. Quant à moi, j'ai la conviction que dix députés du Bloc québécois, libres d'intervenir selon leurs convictions, les yeux rivés sur le pays que nous espérons bâtir un jour, serviront mieux nos aspirations nationales - fédéralistes, autonomistes ou indépendantistes - que 40 élus libéraux enfermés dans une discipline ordonnée par une majorité dont les intérêts divergent très souvent des nôtres, au point parfois de s'y opposer.
Certains commentateurs ont trouvé plutôt catastrophique le résultat de 19,3% des voix et de dix circonscriptions obtenu le 19 octobre par le Bloc québécois. J'ai suivi de près les sondages quotidiens de la maison Nanos (toujours une moyenne de 3 jours), et comme Nanos était «sur le piton» le jour de l'élection, peut-être l'était-il aussi depuis le début d'août. Et une chose apparaît claire. Le score du Bloc aurait été bien pire vers la fin septembre, et au moment même où la marée libérale avalait le NPD et bloquait les conservateurs, le Bloc continuait sa (très) lente remontée…
Finalement le Bloc est allé chercher le quart des votes francophones face à des vents contraires et à une opposition médiatique quasi mur à mur. Le travail de rebâtissage et de rajeunissement entrepris par Mario Beaulieu, suivi du ralliement de Gilles Duceppe et de Pierre Karl Péladeau à l'été, commençait à donner des résultats tangibles à la mi-octobre, en dépit des nombreux oracles de malheur. Une présence efficace des dix élus du Bloc aux Communes, s'ajoutant à la poursuite de la mobilisation sur le terrain, contribuera à créer un terreau fertile pour l'élection de 2018 au Québec.
Avec 68 députés libéraux, néo-démocrates et conservateurs du Québec aux Communes, tous affirmant leur légitimité, avec raison, le Québec aura bien besoin de la dizaine bloquiste au cours des trois prochaines années…
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