lundi 14 septembre 2015
Enjeux linguistiques: des assemblées législatives aux Tim Hortons...
La semaine dernière, j'ai été témoin d'un incident savoureux dans un des restaurants Tim Hortons (y'en a partout!) de mon quartier de Gatineau. Un anglophone devant moi, dans l'une des files, s'est retrouvé devant un jeune caissier unilingue français… Il avait débité sa commande - assez longue pour une facture de près de 20 $ - dans un anglais rapide sans même s'inquiéter d'être compris, Gatineau étant après tout la ville la plus bilingue du Québec…
Le regard d'incompréhension de l'employé et sa réplique en français ont obligé le client à recommencer dans un franglais plus qu'ardu, jusqu'à ce qu'une autre caissière s'amène pour tenter tant bien que mal de servir d'interprète. Tout cela a pris du temps et le monsieur, de toute évidence, n'avait pas la mine réjouie. Pour bien des anglos, en 2015, se voir imposer un service en français au Québec semble un brin humiliant. Je le vois encore, empourpré, en train d'essayer de déchiffrer sa facture (en français) en la comparant au contenu de ses deux précieux sacs de produits Tim… Il est sorti en grommelant…
J'espère qu'on ne me blâmera pas trop d'avoir un peu joui de ces quelques minutes où, pour une fois, ce n'était pas le francophone qui se trouvait confronté à un commis ou un caissier unilingue anglais, comme cela arrive tous les jours sur l'autre rive de l'Outaouais, dans la grande majorité de tous les Tim Hortons et semblables de la capitale canadienne… Une forte proportion des Franco-Ontariens - la majorité? - ne se donnent même plus la peine d'essayer de commander dans leur langue à Ottawa…
À écouter les employés et clients dans ces Tim Hortons - et c'est sans doute pareil aux Second Cup, Starbucks, McDo et autres - on se rend compte que les grands débats linguistiques du Québec et du Canada n'occupent pas seulement comme scène les bureaux des fonctions publiques, les assemblées législatives et les tables constitutionnelles. Un petit Tim Hortons peut devenir, de temps à autre, un microcosme du pays, avec comme principal enjeu le droit de commander dans sa langue un «latté» moyen avec un sucre…
Et quand on vit dans une ville comme Gatineau, sur la frontière ontarienne, et que l'on a grandi par surcroit à Ottawa, les règles du jeu apparaissent vite claires - surtout pour les francophones. On peut chiâler tant qu'on veut du côté de la capitale fédérale, rien ne garantit qu'on se fera servir en français, et le seul moyen de pression - faute de droits bien légiférés dans le secteur privé - reste la force du nombre et l'insistance, voire l'intransigeance. Sur la rive québécoise, avec la Loi 101 comme levier et une forte majorité de langue française, les francophones ont plus de chance de s'imposer… mais ne réussissent pas toujours...
Le fait est que des Franco-Ontariens se plaignent du service unilingue anglais dans des Tim Hortons et semblables même dans des municipalités où la proportion de francophones dépasse le seuil des 50%, et à l'occasion des 80%… Clarence-Rockland, Embrun, Casselman, Hawkesbury… Encore aujourd'hui, dans le secteur privé, des petits commerces aux grandes entreprises, les directions des sièges sociaux situés à l'extérieur du Québec se comportent trop souvent - en matière d'embauche et de langue de travail - comme si les francophones n'existaient pas…
En fin de semaine, à la une, Le Devoir annonçait qu'à la suite de l'acquisition du réseau Astral par Bell Canada, plusieurs cadres supérieurs francophones à Montréal avaient été limogés, et qu'il en résultait une «anglocanadianisation» de l'entreprise. On parlait même de «scandale», de «carnage» et de «catastrophe» (http://bit.ly/1UL7bWj). «Les francophones dans l'ancien réseau Astral se sentent comme une poche isolée de Franco-Canadiens du Manitoba», disait un employé sous le couvert de l'anonymat.
Bien des gens se souviendront de l'ancienne entreprise James Maclaren, en Outaouais, qui s'est francisée - du plancher des usines à la direction - au fil des ans, au point d'être honorée par l'Office de langue française du Québec. Acquise par la multinationale Noranda, ayant siège à Toronto, l'entreprise a été démantelée division par division entre 1980 et 2000 jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien… quelques usines acquises par d'autres papetières.
Le secteur privé, sauf exception, angliciserait tout ce qui bouge sans remords. On n'a qu'à regarder les constructeurs d'habitation de l'Outaouais, qui s'abstiennent de tout militantisme linguistique quand ils construisent en Ontario, et qui font tout pour attirer des milliers d'Ontariens, surtout anglophones, dans des quartiers de Gatineau qui s'angliciseront à vue d'oeil d'ici quelques décennies. Et pendant ce temps, le conseil municipal assiste impuissant à cette transformation sans même défendre l'identité francophone de la métropole de l'Outaouais (4e ville en importance du Québec).
Au contraire, la ville de Gatineau poursuit son combat pour avoir le droit de bilinguiser au moins une partie de sa fonction publique municipale, en dépit de la Loi 101. Déboutée par un arbitre et plus récemment par la Cour supérieure, la ville dépense l'argent des citoyens pour porter sa cause en appel et avoir le droit d'exiger la connaissance de l'anglais pour des tâches où, selon la cour, le bilinguisme n'est pas essentiel…
On voudrait bien pouvoir compter sur Québec pour sauver les meubles, mais avec Philippe Couillard nous avons le gouvernement le plus anglo-servile depuis la Confédération, ainsi que des députés libéraux de l'Outaouais qui montent volontiers aux barricades pour les anglophones quand on menace de renforcer la Loi 101, mais qui ne lèvent pas le petit doigt pour freiner l'érosion du français dans la région.
À Ottawa, dans l'Est ontarien, mais aussi au Québec - dans le Pontiac et la Basse-Gatineau, depuis la Confédération, des milliers de francophones sont devenus bilingues, jusque dans leur identité, avant de voir leurs enfants et petits-enfants devenir unilingues anglais. Ce phénomène se poursuit aujourd'hui à une vitesse variable selon les régions, et se vit au quotidien… jusque dans les Tim Hortons…
Il y a quelques semaines, je suis allé dîner avec ma mère de 91 ans dans un Tim du secteur Orléans, à forte proportion francophone, dans l'est d'Ottawa. La caissière s'adresse à nous en anglais. Ma mère répond en français qu'elle veut une soupe et la demoiselle passe rapidement au français (qui semble être sa langue maternelle) en lui disant: «On a la chicken noodle et la cream of broccoli»…
Pendant ce temps, au Québec, on n'en a que pour l'anglais intensif et dans l'Est ontarien, une commission scolaire de langue française veut mettre les tout-petits de quatre ans à l'apprentissage de l'anglais… On n'est pas sortis du bois...
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