La manchette du Droit d'hier matin, en page 5, se lisait comme suit ce matin : « Combien compte-t-on de Franco-Ontariens ? » Bonne question, et qui appelle, semble-t-il, plus d'une réponse. Le Commissariat aux services en français de la province, ayant adopté une définition qu'il dit plus « inclusive », fixe à 611 500 le nombre de « francophones » en Ontario (4,8% de la population totale). Soit dit en passant, cela appelle une autre question, sans réponse cependant : un francophone en Ontario est-il un « Franco-Ontarien », du moins au sens où l'on entend généralement ce terme ?
À Statistique Canada, dont les données du plus récent recensement (2011) constituent l'assise de tous ces calculs, Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint de la Section des statistiques linguistiques, met en doute, la définition « inclusive » ontarienne. Selon lui, elle inclut des gens qui ne parlent plus le français et exclut des personnes de personnes, de langues maternelles diverses, qui comprennent et utilisent fréquemment le français, au travail par exemple. L'impression laissée par M. Corbeil, c'est que le chiffre de 611 500 est trop élevé.
Puisque compter les têtes fait partie de la culture humaine depuis toujours et que les statistiques linguistiques restent primordiales dans un pays comme le Canada, ainsi que dans chacune de ses provinces y compris le Québec, il y a certainement lieu d'approfondir et d'interpréter les questions d'ordre identitaire de nos recensements quinquennaux. Je doute cependant qu'on puisse en arriver à une combinaison satisfaisante de données permettant de fixer avec suffisamment de précision le nombre de « vrais » francophones dans une localité, une région ou une province entière.
Jusqu'à 1961, au-delà de la connaissance des langues officielles, le recensement du Canada fournissait deux données principales de base : l'origine ethnique et la langue maternelle (première langue apprise et encore comprise) des répondants. Puisqu'on parle des Franco-Ontariens, il y avait alors (en Ontario, en 1961), 647 000 personnes d'origine française (plus de 10% de la population) et 425 000 personnes de langue maternelle française (6,8% de la population ontarienne). Pour obtenir le taux d'assimilation ou le taux de persévérance, selon le point de vue, on divisait le second par le premier, pour en arriver à l'anglicisation d'un peu plus du tiers des effectifs franco-ontariens d'origine.
Tout cela a cessé avec le recensement de 1971, alors que Statistique Canada a introduit pour la première fois une question sur la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison). L'origine ethnique devenant de plus en plus brouillée et, par conséquent, de moins en moins pertinente, la langue maternelle est devenue la référence pour établir le nombre de francophones, et la langue d'usage le repère pour mesurer les taux d'assimilation ou de persévérance. Les générations déjà anglicisées (le tiers de tous les individus d'origine ethnique française) ont été rayées de la carte et comptées tout simplement comme des anglophones.
Au dernier recensement, celui de 2011, l'Ontario comptait 493 300 personnes de langue maternelle française (3,9% de la population totale) et 284 115 personnes ayant le français comme langue d'usage (2,2% de la population totale). Sans doute pour apporter des raffinements à ces chiffres bruts, mais aussi pour dresser un bilan moins sombre d'une francophonie minoritaire en déclin, Statistique Canada a ajouté au fil des ans d'autres questions à ses recensements pour inclure les individus qui ont plus d'une langue maternelle, plus d'une langue d'usage, ainsi que la PLOP (première langue officielle parlée). En jouant avec ces données, ainsi qu'avec la connaissance des langues officielles, on peut arriver à des résultats fort variables...
Au fond, aucune donnée ne permet de dresser un portrait satisfaisant. Des dizaines de milliers d'individus de langue maternelle française en Ontario utilisent à peu près seulement l'anglais, même s'ils comprennent toujours le français. À cet égard, la langue d'usage semble une donnée plus fiable mais encore là, bien des gens qui parlent surtout l'anglais à domicile restent de vrais francophones. En fin de compte, toutes ces données ne nous disent rien des habitudes de vie des répondants au recensement.
Ces Franco-Ontariens (est-ce la majorité?) qui lisent les quotidiens de langue anglaise, écoutent la radio et la télé surtout ou exclusivement en anglais, en plus de travailler dans un environnement anglophone, jusqu'à quel point ont-ils toujours une réalité francophone? La majorité des jeunes Franco-Ontariens ont un conjoint de langue anglaise, et la grande majorité des enfants de ces couples ne parleront que l'anglais... Sur le plan identitaire, une forte proportion des Franco-Ontariens se voient déjà plus comme des « bilingues » que des francophones (près de 90% sont effectivement bilingues), comme ayant donc une double identité. Dans les écoles françaises, à Ottawa, il faut faire la discipline pour obliger les ados francophones à parler français à l'extérieur des salles de classe...
Cela ne signifie pas que ces gens soient irrécupérables pour la francophonie. Mais rien n'indique que la tendance actuelle puisse se renverser à court ou moyen terme. Au contraire, elle semble s'intensifier même s'il continue d'exister un potentiel intéressant de pénétration pour la culture française chez les Anglo-Ontariens (près d'un million d'entre eux comprennent et parlent français...).
Alors mon impression, c'est que dans le contexte actuel, les chiffres sur la langue d'usage traduisent davantage la réalité francophone que ceux sur la langue maternelle, et que la définition « inclusive » de l'Ontario manque très nettement de réalisme comme unité de mesure de la francophonie ontarienne. Et si l'on veut vraiment sauver ce qui reste et commencer à rebâtir sur du solide, mieux vaut s'appuyer sur une analyse réaliste.
Je n'aime pas le terme Franco-Ontarien. Je suis un anglophone, mais je préfère parler en français à la maison, au travail et avec mes amis. Je m'identifie comme un Franco-Ontarien d'Ottawa (ou un Francophile).
RépondreSupprimerJe pense qu'il ya des milliers d'Ottawa qui permettraient d'identifier en tant que francophones, qui viennent d'Haïti, en Afrique ou en Europe qui ne sont pas considérés franco-ontarien à cause de ce qu'ils écrivent sur le recensement. La définition de la Franco-Ontarien doit changer en Ontario (en particulier dans les régions où nous formons la majorité, comme Orléans, Vanier, Kapuskasing et de l'Est de l'Ontario), si nous voulons préserver notre identité et l'unité. Toutefois, cela ne semble pas être dans l'intérêt de l'élite francophone établi dans le ministère des affaires francophones de Toronto. Plus on est petit, plus on peut être traité comme tout autre minorité qui a besoin d'apaisement (et enfin, assimilation), plutôt qu'une nation avec une population croissante des nouveaux arrivants, et une place pas juste en Ontario, mais dans l'histoire national aussi.
Vous soulevez quelques points intéressants. J'ajoute votre commentaire à ma liste de sujets à aborder dans de futurs textes du blogue. Merci.
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