------------------------------------------------------------------------------------------
TRÈS AGRESSIFS !
------------------------------------------------------------------------------------------
L'avouerai-je? J'ai fait du mauvais sans depuis mon retour à Québec.
Là-bas, en Europe, il me semblait que, par comparaison, tout était parfait au Canada, et je me disais : Si jamais je remets les pieds sur le sol de la patrie, je ne me plaindrai plus de rien, même pas du nord-est. Et voilà que, à peine arrivé, je fais du mauvais sang !
Pendant mon voyage en Europe, j'ai passé par la Suisse et la Belgique.
La Suisse, vous le savez sans doute, a trois langues officielles : l'allemand, le français et l'italien. La Belgique en a deux : le français et le flamand.
En Suisse, l'allemand est parlé par l'immense majorité des habitants; le français vient en second lieu; l'italien n'est parlé que dans les cantons de Tessin et des Grisons.
En Belgique, le français paraît être surtout la langue des classes aisées.
Dans les deux pays, particulièrement en Belgique, les langues officielles semblent jouir d'une égale considération, quels que soient le nombre et la condition sociale de ceux qui les parlent.
Dans la Suisse allemande et dans la Suisse française, on voit des inscriptions et des avis officiels en italien. À plus forte raison dans la Suisse italienne la langue de Tasse est-elle à l'honneur.
En Belgique, les Flamands insistent, avec une énergie remarquable, sur l'emploi de leur langue dans toutes les pièces qui ont un caractère officiel. Les chemins de fer étant la propriété de l'État, les billets sont invariablement imprimés dans les deux langues. Chose plus curieuse encore, sur ces billets on lit les noms des villes en français et en flamand, toutes les fois que les noms sont susceptibles d'être traduits. Ainsi, Mons et Bergen, Anvers et Antwerpen, Bruxelles et Brussels, Gand et Gent, Louvain et Leuven, Tournai et Dournick, etc.
On ne saurait croire jusqu'à quel point les Flamands de la Belgique insistent sur l'usage officiel de leur langue. Les Belges de langue française trouvent cette insistance excessive, parfois; mais les Flamands, ayant le droit pour eux, ne s'occupent pas des murmures que font entendre leurs compatriotes d'une autre langue.
Les Canadiens français font-ils preuve de la rude, mâle et efficace énergie qui distingue le peuple flamand? Hélas ! Non.
Exigeons-nous que les billets du Dominion soient imprimés dans les deux langues? Non! Nos pièces d'argent et de cuivre portent-elles quelque trace de français? Non! Autrefois, pourtant, il y avait des pièces d'un sou. Nos timbres de poste ne sont-ils pas exclusivement en anglais? Les billets des chemins de fer canadiens, ceux de l'Intercolonial, entre autres, lequel est pourtant la propriété de l'État, c'est-à-dire notre propriété autant que la propriété des Anglo-Canadiens, sont-ils imprimés dans les deux langues, comme ils devraient l'être? Généralement non. Nous ne connaissons que deux exceptions : le Lac Saint-Jean et le Montmorency et Charlevoix.
Sur nos tramways, ici même à Québec, le français occupe-t-il la place à laquelle il a droit?
Combien d'autres exemples je pourrais signaler de notre coupable négligence. Car si la langue française n'occupe pas au Canada, en pratique, la situation que son titre de langue officielle lui donne, théoriquement, le droit d'occuper, c'est uniquement parce que nous sommes trop lâches et trop indifférents, trop peu patriotes, en un mot, pour soutenir la lutte incessante que soutiennent les Flamands, en Belgique.
[...]
Mais pourquoi, demandera-t-on peut-être, le titre de cet article?
En revenant de l'Europe, l'autre jour, [...], j'ai conversé longuement avec un monsieur du Nouveau-Brunswick, [qui] m'a assuré, le plus sérieusement du monde, que les Canadiens français sont très agressifs !
La délicieuse ironie de ce mot me l'a fait choisir pour titre de cet article.
J.-P. Tardivel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire