jeudi 3 mars 2016

De Starbucks à Justin Trudeau...

Un colloque de trois jours, c'est rare pour moi. Mais celui-là tombe dans mes cordes. Intitulé Le bilinguisme canadien comme projet: l'histoire d'une utopie et de sa réalisation, il s'agit du colloque annuel du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa, l'organisme phare de cette université bilingue en matière de francophonie. Le CRCCF, dois-je ajouter, mérite tout le respect qu'on lui accorde, et plus!

Quoiqu'il en soit, me voilà en fin d'après-midi en pleine heure de pointe au centre-ville d'Ottawa, sur le campus universitaire, en ce jeudi 3 mars 2016. Après avoir déniché un stationnement intérieur, c'est la longue marche (longue pour moi, entend-on…) contre un vent frisquet et mordant du nord-ouest vers le pavillon Desmarais (nommé pour Paul Desmarais, grand Franco-Ontarien dont l'avis de décès n'a même pas été publié dans Le Droit d'Ottawa et dont le fils André, coprésident de Power Corp., voulait faire disparaître ses journaux régionaux y compris Le Droit).

Avant de monter au 12e étage pour le colloque, arrêt au Starbucks du pavillon Desmarais pour un breuvage qui me réchauffera. «Un chocolat chaud, s'il vous plaît», dis-je à la dame derrière le comptoir. Regard vide. «I'm sorry I don't speak French.» «Je suis bien à l'Université d'Ottawa, université bilingue?». Elle ne répond pas davantage, s'éclipse et m'indique de passer à la serveuse à la caisse voisine. Après quelques minutes d'attente: «Un chocolat chaud, s'il vous plaît.» «I'm sorry, I only speak French oune petit pou…» Bon, voilà, merci et au revoir…

Alors que je quitte la file pour sortir du Starbucks sans chocolat chaud, une troisième caissière arrive et offre enfin de me parler français… Je pensais vraiment que l'Université d'Ottawa avait éliminé ce genre de situation inacceptable mais il faut croire que non. Et ce que j'en retiens, c'est que peu d'étudiants et de professeurs francophones ne s'en plaignent, parce que les employées semblaient surprises d'avoir affaire à un client qui insistait beaucoup pour être servi en français… J'allais après tout à un colloque sur le bilinguisme… 

L'incident au Starbucks n'était finalement qu'une entrée en matière, parce qu'après avoir lu et entendu l'introduction de l'animateur du colloque, François-Olivier Dorais, doctorant en histoire à l'Université de Montréal, il me semblait que les participant(e)s n'étaient pas réunis pour parler de la «réalisation» de l'utopie du bilinguisme canadien mais bien pour faire un peu le deuil de la «dislocation du Canada bilingue». En tout cas, tout au moins son «essoufflement»… Comme au café Starbucks, au rez-de-chaussée…

«Le bilinguisme est-il un reliquat d'une autre époque», commente M. Dorais en passant la parole à trois professeurs qui devaient répondre à une question les amenant hors - très loin même - de leurs habituels champs d'expertise et de recherche: «Quel avenir pour le bilinguisme sous un gouvernement Trudeau?» Les professeurs de science politique et de sociologie ne travaillent pas avec des boules de cristal et même avec un dossier étoffé de la campagne électorale et des premiers mois du régime Justin, toute prédiction reste pour le moins hasardeuse…

Tout au plus peut-on, prudemment, affirmer que les nouveaux patrons de la fédération canadienne voudront se démarquer de la grande noirceur Harper… Le sociologue E.-Martin Meunier, craignant à juste titre qu'on lui remettre sur le nez des prévisions malavisées, propose une série de graphiques montrant la dégringolade de la langue française hors Québec entre 1991 et 2011. Les conséquences? «Je doute, dit-il, que le politique puisse longtemps endiguer le poids du déclin démographique» des parlant français… De sombres nuages à l'horizon…

Après que la politicologue Linda Cardinal eut fait le tour des promesses électorales des libéraux en matière de dualité linguistique et brossé un tableau de mesures plus ou moins modestes qui pourraient en découler, c'était au tour de son collègue François Charbonneau. À l'entendre, on en est presque à l'extrême onction pour le projet d'un Canada bilingue à la Pierre Elliott Trudeau. De fait, opine-t-il, «les seuls qui tiennent toujours au bilinguisme sont les Canadiens français et les Acadiens hors Québec.»

M. Charbonneau ne semble pas attendre grand chose de Trudeau le jeune sur le plan linguistique. Réaliser véritablement l'idéal d'un Canada bilingue, dit-il, c'est très difficile. Il faut travailler fort, retrousser ses manches. Il est bien plus facile de se contenter de faire l'éloge du multiculturalisme: «Tu ne fais rien, et ça marche… Célébrer la diversité, ça ne demande rien… Non, le thème du bilinguisme, ça ne résonne pas avec le gouvernement Trudeau.»

La soirée s'est terminée avec le lancement de deux livres, un dossier de la revue Mens sur la Commission B-B, 50 ans plus tard, et le livre du professeur Matthew Hayday sur la promotion et l'opposition au bilinguisme au Canada anglais. Deux documents à lire et conserver, sans doute. Les deux derniers jours du colloque (vendredi et samedi) s'annoncent animés…




1 commentaire:

  1. Université d'Ottawa, université bilingue des Franco-Ontariens ? : «I'm sorry I don't speak French.»

    Ayoye !

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