samedi 5 mars 2016

Bilinguisme et bilingue, mots de code...

Je n'aurai sans doute jamais entendu si souvent les mots «bilinguisme» et «bilingue» en une seule journée! Entre 9 heures et 17 heures, au colloque annuel du CRCCF (Centre recherche en civilisation canadienne-française) de l'Université d'Ottawa (http://bit.ly/21JISNP), ce vendredi 4 mars 2016, j'ai attentivement suivi une douzaine de conférences ayant toutes en commun ces deux mots clés qu'on associe constamment à la raison-d'ëtre du Canada… 

Entendons-nous. «bilinguisme» et «bilingue» qui, dans leur définition même, impliquent la présence de deux langues (toujours le français et l'anglais dans le contexte québécois et canadien), sont devenus ici, en réalité, des mots de code. La langue française étant la seule menacée, tous ces chercheurs spécialisés en «bilinguisme» étudient essentiellement les malheurs de la francophonie québécoise et canadienne…

Envelopper nos petites et grandes misères dans une problématique plus générale donne aux sujets abordés un ton plus objectif, universitaire, moins militant ou engagé. On peut aborder à peu près tous les thèmes, même les plus révoltants, dans les styles littéraires et oratoires du haut-savoir. Il n'y a pas de mauvaise volonté là-dedans, et les conférences sont le fruit d'études sérieuses, elles sont instructives. 

Mais c'est comme les rapports du Commissaire fédéral aux langues officielles, qui évoquent toujours les «langues officielles» comme si elles étaient égales et évoluaient un peu en parallèle. Or, comme l'avouait le commissaire Keith Spicer au milieu des années 1970, «98% de mon travail consiste à défendre les droits des Canadiens français, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Québec»... Si on ne parlait pas en code «bilingue», on nommerait cette fonction «Commissaire à la défense et à la promotion du français»…

Ainsi, durant la conférence d'hier sur les vieux rêves pan-canadiens d'Henri Bourassa, fondateur du Devoir, personne dans la salle n'a cru pour un moment qu'en défendant un Canada bilingue, il craignait pour la survie de la langue anglaise, même au Québec… De fait, un autre conférencier, évoquant la même époque, ramenait à la vie un ancien jésuite-chroniqueur, Joseph Papin Archambault, qui menait sa «petite guerre» contre le visage trop souvent unilingue anglais de Montréal…

Quand Robert Talbot, secrétaire de langue anglaise de la Société historique du Canada, parlait hier matin de l'avènement des timbres bilingues au Canada en 1927 et de la monnaie bilingue en 1936, tout le monde savait parfaitement bien que pour les rendre «bilingues», le gouvernement fédéral ne venait pas enfin d'ajouter une version anglaise à des timbres et billets de banque unilingues français… 

Dans une autre présentation, le chercheur Rémi Léger, de l'université Simon Fraser, en Colombie-Brirtannique, est revenu sur la fin des années 60 et les années 70, alors que le fédéral investissait des dizaines de millions de dollars en animation identitaire. Il a intitulé sa conférence Le bilinguisme canadien: entre principes et pratiques du développement des communautés. Encore des mots de code, puisque les «communautés» dont il est question, ce sont exclusivement celles de langue française, hors-Québec, menacées par des taux d'assimilation épeurants.

Enfin, quand d'autres chercheurs et professeurs discourent savamment - et pertinemment - sur les oeuvres d'historiens comme Michel Brunet ou Donald Creighton, ou des écrits de l'indépendantiste d'André d'Allemagne, qui avait épousé les thèses d'Albert Memmi sur le colonialisme, ils décortiquent toujours le sort passé, présent et futur de la langue française dans notre petit village encerclé d'Amérique et ses avant-postes pan-canadiens… Mais on appelle ça «bilinguisme»…

Ce dont on n'a presque pas parlé, à cette conférence, c'est du bilinguisme social, de ces millions de francophones qui ont appris l'anglais, le plus souvent par obligation, tant au Québec qu'ailleurs au pays, et des effets linguistiques et identitaires de ce bilinguisme collectif. Une étude tant soit peu approfondie des données des recensements fédéraux démontre clairement que le bilinguisme collectif, le vrai, constitue toujours - dans notre contexte nord-américain - une étape vers l'assimilation.

Plus une collectivité francophone, que ce soit un village, une ville ou une région, devient bilingue (pas ce bilinguisme ou plurilinguisme volontaire, louable et enrichissant, mais notre bilinguisme imposé…), plus il y a effritement identitaire, plus il y a transferts linguistiques vers l'anglais. Ce n'est pas une opinion, c'est un fait prouvé. Mais ça, ce sera sans doute pour un autre colloque.

Entre-temps, je poursuis celui-ci, qui entame sa troisième et dernière journée aujourd'hui, samedi 5 mars, fort heureux de pouvoir apprendre des tas de choses de gens intéressants, d'entendre des conférenciers compétents et consciencieux, de rencontrer des chercheurs qui consacrent leur vie à bonifier nos réserves de savoir. Vive le CRCCF!


2 commentaires:

  1. Èpuisant quand même. Faut boire plusieurs cafés ou choc chauds chez Starbucks..en anglais.

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  2. "Sorry, I don't speak French."
    grrrrr

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