Ça m'a tout l'air qu'oser critiquer le choix de Right fiers! comme slogan des Jeux de la francophonie canadienne à Moncton-Dieppe, en 2017, c'est risqué…
À en entendre certains, ceux et celles qui y voient une promotion du franglais ou un signe d'assimilation n'ont pas compris grand-chose à la situation des collectivités acadiennes du sud-est du Nouveau-Brunswick, et témoignent envers elles un manque de respect…
Ce seraient des gens de l'extérieur de Moncton-Dieppe, peut-être de la péninsule acadienne où le chiac n'a aucune emprise, peut-être de milieux scolaires où la rectitude linguistique est élevée au rang de dogme, ou peut-être d'ailleurs au pays, du lointain Ontario, ou pire, de Québécois de la Loi 101…
Je cite le président de la FJCF (Fédération de la jeunesse canadienne-française), Alec Boudreau: «Si on trouve cette (appellation) troublante, au point d'y voir de l'assimilation, c'est peut-être parce qu'on manque de confiance et de compréhension. (L')appropriation des deux langues (dans le slogan #RightFiers), c'est l'opposé de l'assimilation. Notre parler, c'est notre résistance à l'assimilation, et à ceux qui souhaitent jouer à la police linguistique.» (voir http://bit.ly/1XokyP5)
Et, ajoute-t-il, «cet inconfort avec le slogan #RightFiers me semble provenir de personnes qui ne connaissent pas la réalité d'être jeune en milieu minoritaire.»
Ouf… j'ai le droit de parler. Je ne suis plus jeune, loin de là, mais je l'ai déjà été et j'ai passé toute ma jeunesse en milieu minoritaire: en Ontario, dans la capitale canadienne où les francophones ne forment aujourd'hui que 15% de la population (c'était un peu mieux quand j'avais 15 ou 20 ans). Et j'ai grandi dans un quartier où la proximité d'une forte majorité anglophone avait un effet corrupteur sur la qualité de notre français parlé…
On disait moé, toé... On jouait au bord de la track... On appelait nos parents mom et pop… On prenait les ti-chars ou le bus avec un ticket… Le quartier voisin, on l'appelait le Flat et non les Plaines LeBreton… On se disait Bye au lieu de «salut!»… On allait aux vues et non au cinéma… On évitait de se faire lutter par un char… On parlait des soures (pour sewers) et non des égouts… Des riles au lieu des camions de pompiers… mais également de la grand-rue au lieu de son appellation anglaise, Wellington…
Enfin, nous avions notre argot… du français, oui, avec une infiltration de mots et d'expressions anglaises… Pas aussi coloré et célèbre que le chiac mais tout de même suffisamment différent pour qu'un visiteur de Saint-Hyacinthe ou de Caraquet trouve notre parler parfois étrange… Une chose est sûre. Jamais n'avons-nous prétendu qu'il y avait là un objet de fierté… Nous faisions sans doute du mieux que nous le pouvions, dans les circonstances qui étaient les nôtres dans la très anglaise Ottawa.
Ce que nous ne savions pas, et que les recherches et les recensements démontrent de plus en plus depuis quelques décennies, c'est que cette bilinguisation massive de notre collectivité n'était qu'une étape vers des générations subséquentes qui parleraient davantage l'anglais. Une bilinguisation qui serait bien plus que l'acquisition d'une langue seconde (par une langue seconde?) mais également le signe d'un effritement identitaire. L'apparition de nouvelles générations de «bilingues» jusque dans l'âme… dont les enfants seront majoritairement anglicisés…
Vous n'en êtes pas encore là à Moncton-Dieppe, mais je crains que vous ne soyiez en chemin… Allez fouiller un peu les profils des communautés dans le recensement fédéral de 2011. Les questions sur la langue étant restées dans le questionnaire obligatoire, même sous Harper, les données sont fiables. Consultez les chiffres pour les régions de Moncton, Dieppe et Shediac et comparez-les à ceux de la péninsule acadienne ou de la région de Madawaska, au nord-ouest. Et analysez les différences…
Vous verrez qu'à Dieppe, 72,4% de la population se déclare de langue maternelle française, mais que seulement 67,9% des répondants affirment utiliser surtout le français à la maison. Et dans cette même ville, alors que 85% des francophones sont bilingues, plus des deux tiers des anglophones restent unilingues anglais. Selon le recensement, dans cette municipalité de 23 000 personnes, en comptant les bilingues et unilingues, 83,7% des habitants connaissent le français, mais 90,1% connaissent l'anglais…
La situation à Moncton est bien pire, avec 31,3% de francophones selon la langue maternelle, mais seulement 23,7% selon la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison). Et toujours à Moncton, plus de 90% des francophones sont bilingues… Les anglos sont très majoritairement unilingues. Dans la petite ville de Shediac, le profil est semblable à celui de Dieppe. À Tracadie-Sheila, dans le nord, pendant ce temps, près de la moitié des francophones sont unilingues.
Je ne veux pas faire de débat ici sur la valeur du bilinguisme ou du plurilinguisme, nettement souhaitable sur le plan individuel et presque toujours néfaste sur le plan collectif, surtout dans notre contexte nord-américain. Tout ce que ces chiffres démontrent, c'est la puissance d'attraction de l'une et l'autre des langues en présence, ainsi que leur utilité.
Pourquoi les anglos demeurent-ils majoritairement unilingues dans certaines régions du Nouveau-Brunswick où les francophones sont pourtant majoritaires? Ils ne voient aucune utilité d'apprendre le français… À Tracadie-Sheila, francophone à 96%, la majorité des anglophones connaissent le français mais ça c'est une toute autre histoire…
Le chiac, comme mon ancien argot franco-ontarien du West End d'Ottawa, témoigne de l'usure de notre langue après des générations de vie dans un milieu municipal et provincial anglo-dominant. Ça peut paraître très coloré, et même parfois amusant, mais j'espère que vous me permettrez de ne pas en être RightFier…
J'ai beaucoup d'admiration pour l'Acadie et les Acadiens, pour leur ténacité, pour leur résistance historique. Une admiration qui ne sera nullement entamée par le choix de ce slogan, que je persiste à trouver malheureux… Solidarité!
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Réveille! Réveille!… pour sauver l'héritage. http://bit.ly/NNsNWC
Le nombre de ménages francophones hors Québec continue de reculer
RépondreSupprimer24/10/2012
http://quebec.huffingtonpost.ca/2012/10/24/francophones-hors-quebec_n_2011372.html
Même au Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue du pays, le recul a été constant.
«Si on exclut les régions très francophones comme la péninsule acadienne ou le nord-ouest du Nouveau-Brunswick, nous constatons que dans les milieux urbains comme Moncton, Fredericton et Saint-Jean, l'attrait envers l'anglais, l'assimilation, est probablement beaucoup plus prononcé», a estimé Michel Doucet, professeur de droit à l'université de Moncton, qui se spécialise dans les questions de langues officielles. «Nous constatons aussi un dépeuplement des régions rurales francophones.»