vendredi 3 octobre 2014

«Les guerriers sont fatigués»...

Quand j'étais Franco-Ontarien, et même maintenant à Gatineau, je n'ai jamais été un grand défenseur de nos versions du bilinguisme institutionnel et du bilinguisme collectif, qui m'ont le plus souvent parus - du moins dans les milieux où j'ai vécu - comme une étape ou une transition vers un état d'assimilation accrue ou un éventuel unilinguisme anglais. Alors pourquoi cela me poigne-t-il aux tripes quand des gens se lèvent pour attaquer le bilinguisme municipal à Ottawa ou critiquer les Franco-Ontariens?

Cette semaine, l'hebdomadaire L'Express d'Ottawa publiait un texte reproduisant une déclaration d'un candidat (Mark Scharfe) aux élections municipales dans la circonscription d'Osgoode, en banlieue sud du noyau urbain, proposant de suspendre les services bilingues de la ville et de remettre 10% des sommes ainsi économisées aux banques alimentaires. Pour se justifier, il déclara ce qui suit: «J'ai pris des cours de français pour devenir bilingue, mais quand j'ai essayé de parler, les francophones ont toujours eu le réflexe de passer à l'anglais en entendant mon accent. Je ne pouvais dès lors trouver personne dans Vanier (un quartier plus francophone que d'autres à Ottawa) qui ne parle pas anglais. Pour moi, devenir bilingue a toujours été une perte de temps.»

D'autre part, dans un texte somme toute pondéré, publié sur le Web par Sympatico Actualités, le chroniqueur québécois Renart Léveillé, conclut que «le bilinguisme de la minorité francophone (d'Ottawa) n'encourage pas le bilinguisme des anglophones», que les francophones «ont perdu ce petit quelque chose qui leur aurait donné le goût de partager leur langue maternelle comme vecteur culturel avec quelqu'un qui visiblement s'y intéressait», qu'ils ont «perdu le goût de prendre la mesure de leurs actions pour la pérennité du français». Plutôt que d'aider un anglophone (comme Mark Scharfe) à faire l'apprentissage du français, «ils ont décidé de prendre la voie de la facilité».

Je tiens à préciser d'abord que j'accepte que les opinions émises par MM. Scharfe et Léveillé sont faites de bonne foi, qu'ils sont ouverts au dialogue. Ma réplique décousue et partielle ne vise qu'à ajouter au débat quelques éléments dont ils n'ont peut-être pas tenu compte ou qu'ils ignorent, et qui pourraient les amener à nuancer ou modifier leurs propos.

1. L'histoire. La persécution du français en Ontario a commencé au début du 20e siècle, et des générations successives de Franco-Ontariens subi des injustices qui ont laissé des traces individuelles et collectives. Ce n'est pas le fruit du hasard si, instinctivement, une grande partie des francophones de la capitale passe à l'anglais devant un anglophone, même avec un anglophone qui parle français. Si M. Scharfe était mieux informé du passé franco-ontarien, il verrait la situation autrement…

2. La décision. M. Léveillé évoque la décision de prendre la voie de la facilité. Une professeure de l'Université d'Ottawa, Phyllis Dalley, disait un peu le «pile» du «face» de M. Léveillé dans le journal étudiant La Rotonde: «Être francophone en Ontario, c'est devoir faire le choix à chaque jour de poursuivre ou délaisser la langue française.» Cette façon de voir, selon moi, est erronée. Le nombre de personnes qui font de tels choix est très limité. L'immense majorité s'intègre, sans y réfléchir, à son milieu. L'assimilation est un phénomène sociologique, et non individuel…

3. La persévérance. Même pour ceux et celles qui prennent la «décision» de rester francophones en Ontario, la lutte est constante, quotidienne, et surtout usante. «Les guerriers sont fatigués», écrivait de façon opportune l'éditorialiste Pierre Bergeron dans Le Droit. Après des mois, des années, des générations de persévérance dans un milieu hostile, raciste même à l'occasion, bien des gens décrochent ou, comme certains, traversent la rivière pour vivre en français sur la rive québécoise. Depuis 50 ans, des milliers de Franco-Ontariens l'ont fait dans la région d'Ottawa et de l'Est ontarien.

Quand je retourne dans mon quartier natal de Saint-François d'Assise et constate la quasi-disparition d'une communauté jadis francophone et florissante, quand je vois l'immense complexe d'édifices fédéraux qui a signé la mort du quartier, quand je vois d'anciennes maisonnettes propres en état de délabrement sur certaines rues; quand, au centre-ville, je vois le panneau municipal «Communauté LOWERTOWN» alors que tout le monde disait autrefois «Basse-Ville»; quand je vois les terrains vagues des Plaines Lebreton dont les habitants, à forte proportion francophones, ont été expulsés manu militari il y a un demi-siècle, je me dis que ce qui reste des anciennes communautés franco-ontariennes, aujourd'hui éparpillées, ne méritent pas les critiques dont elles sont l'objet et que les services en français de la ville d'Ottawa sont une faible compensation pour les injustices criantes du passé.

Ceux et celles qui continuent de défendre la langue et la culture françaises, aujourd'hui, en Ontario, méritent notre appui et notre solidarité. Et tout en conservant un bon sens critique et en ne me privant pas de mettre les points sur les «i» quand il le faut, j'ai pour eux la plus grande admiration. Quant au tiers et plus des anciens Franco-Ontariens qui ont totalement perdu leur langue au fil des années, je me permets de citer l'auteur Omer Latour, de Cornwall, parlant de l'assimilation des siens: «Vous me demandez pourquoi ils sont morts? Je vous demande comment ils ont fait pour résister si longtemps.» 

Et aux Québécois qui seraient tentés de croire que tout ceci ne les concerne pas, je laisse toujours cette citation de l'auteur Pierre Albert, servie comme avertissement: « Un jour, dit le dernier des Franco-Ontariens, il y aura peut-être le dernier des Québécois.»


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire