Le pauvre maire de Windsor (Ontario), Drew Dilkens, doit bien se demander ces jours-ci pourquoi quelques-uns de ses propos ont outré tant de Franco-Ontariens. À entendre ses réactions, il ne semble pas y comprendre grand-chose. Pourtant, doit-il sans doute grommeler, je participais à l'ouverture d'une exposition intitulée «Racines françaises de Windsor», j'ai des ancêtres francophones et de plus, j'envoie mes enfants à l'école française… Je suis un véritable modèle d'ouverture, le prototype de l'Anglo-Canadien francophile…
Au fait, qu'a-t-il déclaré au juste, ce maire, pour se mettre ainsi dans le pétrin? Selon les rapports médiatiques, et je cite ici un texte de Radio-Canada (http://bit.ly/1SEiT7x), il a affirmé qu'il lui était «difficile d'offrir des services en français dans une communauté aussi multiculturelle sans faire de favoritisme». Au dire d'un second texte, publié dans le Windsor Star (http://bit.ly/1TJOIKA), il aurait ajouté plus tard que l'arabe pourrait être plus important que le français pour le choix du président du conseil des services policiers de Windsor…
Sur le strict plan de la réalité socio-démographique, M. Dilkens a tout à fait raison. Plus du quart des citoyens de Windsor ont comme langue maternelle des langues autres que les deux langues officielles du pays. Les chiffres de la langue d'usage (la langue le plus souvent parlée à la maison) du recensement de 2011 révèlent qu'il y a près de quatre fois plus d'arabophones que de francophones à Windsor. De fait, statistiquement, le français comme langue maternelle (2,6% de la population) et comme langue d'usage (à peine 0,7%) est ici à l'article de la mort…
Mais la réalité socio-démographique de 2011 n'est pas toute la réalité. Loin de là. Quand on la cerne bien, cette réalité totale, on peut démontrer que le point de vue du maire Dilkens est erroné par ses omissions, blessant (voire insultant) par son ignorance, et insidieux par ses conséquences. Bientôt, à ce qu'on dit, la première ministre Wynne s'excusera au nom des gouvernements précédents de l'Ontario pour les torts causés aux Franco-Ontariens par le Règlement 17 de 1912, qui interdisait le français comme langue d'enseignement après la deuxième année du primaire. Il y a là un geste que le maire de Windsor finira peut-être par se voir dans l'obligation d'imiter…
Car au-delà de son incompréhension effarante de l'histoire du Canada et de l'Ontario, au-delà de son évidente méconnaissance de la dynamique linguistique dans son coin de l'Amérique du Nord (et des menaces qui pèsent sur l'ensemble des francophonies canadiennes et québécoise), au-delà de l'opacité de ses perceptions quant au contenu identitaire des collectivités nationales du Québec, de l'Acadie, du Canada français et même de l'Amérique française, M. Dilkens (et il est loin d'être le seul…) ignore manifestement l'essentiel de ce que fut cette francophonie du Sud-Ouest et dont il ne reste aujourd'hui que des fragments.
Je l'inviterais (lui et tout le monde, y compris les francophones) à décortiquer, pour mieux se renseigner, le chapitre intitulé La crise scolaire et les francophones du Sud-Ouest ontarien, dans le livre collectif Le siècle du Règlement 17, publié en 2015 sous la direction des professeurs Michel Bock et François Charbonneau. De fait, lisez tout le livre tant qu'à y être. C'est très instructif. Une des plus belles trouvailles de l'année dernière!
Le maire Dilkens comprendrait mieux l'interaction un peu unique entre le sentiment d'isolement de la collectivité francophone du Sud-Ouest ontarien, éloignée du coeur géographique de la nation, et son rattachement, à la fois juridique et politique, à la dualité linguistique et nationale de l'immense fédération canadienne. Les Canadiens français de l'Est et du Nord ontarien, situés près de la frontière québécoise, ont offert plus de résistance au Règlement 17. Mais dans la région de Windsor, isolée et déjà en proie à une bilinguisation-anglicisation rapide des parlant-français, «les deux tiers de toutes les écoles bilingues (françaises) se soumettront au règlement (17) dès sa mise en oeuvre».
La soumission, voire l'acceptation d'une persécution ouvertement raciste a permis au Règlement 17 de faire dans le Sud-Ouest, donc à Windsor, ce que le gouvernement ontarien de l'époque attendait de cette mesure. Assimiler de nombreux francophones. Commettre un début d'ethnocide. Et de fait, en 1928, l'année après la suspension de l'application du Règlement 17, on a mesuré la capacité linguistique des enfants d'origine française des «écoles séparées» de Windsor et découvert que 54% d'entre eux ne parlaient que l'anglais! Entre les loges orangistes et les disciples de Mgr Fallon, on a dû applaudir à tout rompre!
Dans cette région jadis française, les francophones constituaient toujours une proportion respectable de la population en 1912. Le tiers? Un peu moins? Une dizaine d'années plus tôt, la ville américaine de Détroit, en face, avait célébré son bicentenaire… en français. Mais après le Règlement 17, un acte délibéré et réussi de répression, la part francophone de Windsor a décru rapidement. Seulement 13% selon la langue maternelle au recensement de 1941. Un peu plus de 10% en 1951. Et en 2011? À peine 2,6% de langue maternelle française (5405 personnes), et moins de 1% selon la langue d'usage. Sur 209 000 habitants à Windsor, à peine 1640 affirment parler le plus souvent le français à la maison…
En regardant la réalité socio-démographique actuelle avec une gomme à effacer pour le passé et pour les enjeux actuels de la dualité linguistique pan-canadienne, sans oublier les effets possibles de ses propos au Québec (heureusement pour lui, les médias québécois sont à peu près indifférents, sauf exception, à la francophonie hors-Québec), le maire de Windsor ne rend service à personne et alimente la glissade bien amorcée vers l'ignorance de la population anglo-canadienne et de ses médias.
Au lieu de chérir comme une espèce précieuse menacée ces ultimes survivants francophones du rouleau compresseur anglo-ontarien et nord-américain, et d'encourager par tous les moyens ceux et celles qui comprennent toujours le français (y compris les anglophones bilingues) à utiliser davantage la langue française dans la région de Windsor, M. Dilkens rabaisse l'une des deux langues officielles du pays au rang de feuille flétrie d'une branche multiculturelle et pérore sans arrière-pensée apparente sur l'utilité et l'importance de l'arabe au conseil des services policiers… Quelle sottise!
Un certain nombre de plumes franco-ontariennes ont répondu avec une dose juste de vitriol. J'aimerais bien appeler à la rescousse mes compatriotes québécois… mais peu d'oreilles sont à l'écoute. Peut-être perçoivent-elles déjà un lointain tocsin qui annonce le glas futur de notre langue à Montréal et en Outaouais urbain...
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