mercredi 27 mai 2015

Dans le Pontiac, des francophones ont peur...

Un nouveau conflit linguistique prend forme, cette fois dans le Pontiac, entre le journal bilingue de la région (Pontiac Journal du Pontiac) et l'Office québécoise de la langue française (OQLF). En invoquant l'effet de deux articles plutôt mineurs de la Loi 101 (art. 58 et 59) sur les publicités bilingues ou anglaises, l'OQLF veut obliger le «Pontiac Journal du Pontiac» à séparer sa publication en deux sections distinctes, une française et une anglaise. Sur le mérite, il y a sûrement matière à discussion. Mais sur le ton, notamment celui employé par la direction du journal et par ceux qui, parmi ses lecteurs, affirment publiquement leur soutien à l'équipe de rédaction et à sa philosophie, le dérapage a été immédiat et typique du climat sociopolitique de ce coin anglo-dominant du Québec.

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Voir aussi mon texte de blogue du 21 mai sur cette question. http://bit.ly/1Hwaw7d
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La une du Devoir du 4 juillet 1955…  «Visite dans le comté de Pontiac. Cinquante délégués des SSJB découvrent la misère des nôtres».

Dans sa campagne contre l'Office québécois de la langue française (OQLF), j'ai la quasi-certitude que le «Pontiac Journal du Pontiac» aura l'appui total de la majorité anglophone des environs et le soutien très majoritaire des francophones, depuis longtemps persécutés et victimes d'un taux d'assimilation inquiétant. J'ai d'autre part la quasi-certitude que les rares dissidences dans les îlots de résistance francophone (il en reste quelques-uns) vont largement garder le silence parce dans le Pontiac, il est souvent plus prudent d'agir ainsi…

Ce qu'on entend le plus fréquemment dans ce coin du Haut-Outaouais, c'est que la région est bilingue, que francophones et anglophones s'entendent merveilleusement bien… et que les défenseurs du français sont le plus souvent des séparatistes - d'ailleurs - qui viennent bouleverser la paix idyllique de la région. Et gare à ceux qui oseraient prétendre le contraire, ou qui, comme l'OQLF diabolisée, viendraient se mettre le nez dans les affaires internes de cette région quasi ontarienne…

De inspecteurs de l'Office de la langue française avaient littéralement été chassés de la bourgade anglophone de Shawville il y a une quinzaine d'années. On parle ici d'une région où la commission scolaire n'osait même pas hisser le drapeau québécois devant des écoles primaires, comme l'exige la loi! Et le président du mouvement «Action francophone Pontiac», soupçonné faussement d'être à l'origine de la plainte au sujet de ces écoles, a démissionné de son poste peu après. Selon lui, rapportait le quotidien Le Droit en 2002, «tout avait été fait pour l'intimider». Et, ajouta-t-il pour confirmer le climat social, «beaucoup de francophones ont peur de se défendre»…

Le mot est lâché. Des gens ont «peur». Ont-ils raison de craindre d'être intimidés, ostracisés, voire de subir des violences, verbales ou physiques? Peut-être, peut-être pas. Une chose est sûre: il faut être brave, parfois, pour arborer le fleurdelisé dans le Pontiac (et ailleurs en Outaouais, y compris la Basse-Gatineau et quelques quartiers de la ville de Gatineau). Les réactions des franges les plus extrémistes chez les anglophones - et même chez certains francophones - sont souvent hystériques et haineuses à l'endroit des défenseurs des droits des francophones, surtout s'ils ont des teintes «séparatistes».

Les faits n'ont aucune importance pour ces gens. Leurs prétentions sur le bilinguisme de la région sont pure fantaisie, et les recensements fédéraux sont là pour le prouver. Les seuls qui sont massivement bilingues sont les francophones parce qu'ils n'ont pas le choix. La grande majorité des anglophones du Pontiac reste unilingue. Et le pire, c'est qu'un nombre impressionnant de ces unilingues portent des noms de familles français, témoignage de générations précédentes francophones, puis bilingues, et enfin entièrement assimilées! Les francophones seraient-ils majoritaires dans le Pontiac s'ils n'avaient pas été forcés de s'angliciser depuis la seconde moitié du 19e siècle? Peut-être bien.

Le principal facteur d'anglicisation? Le fait que les écoles, confessionnelles de la Confédération jusqu'aux années 1960, étaient contrôlées par le diocèse catholique anti-francophone de Pembroke, Ontario. Les paroisses francophones du Pontiac sont toujours, en 2015, sous l'autorité de ce diocèse ontarien, les seules au Québec dans cette situation aberrante, et l'Église catholique ne fait rien pour les réunir à l'archidiocèse de Gatineau, auquel elles devraient appartenir. La persécution des francophones du Pontiac pendant le premier siècle de la Confédération a été décrite avec force détails dans le livre «Les sacrifiés de la bonne entente» de Luc Bouvier, publié en 2002.

Je vous laisse ici quelques extraits de ce livre - et les exemples ne manquent pas - pour illustrer la façon dont les droits de ces francophones québécois ont été piétinés, et en même temps pour mieux comprendre comment l'esprit de combat a été extirpé des collectivités francophones :

* «Parmi tous les facteurs géographiques, politiques, économiques, sociaux qui ont joué en faveur de la population d'origine anglaise, l'école et l'Église (catholique) ont été déterminantes dans l'espèce de génocide culturel dont le Pontiac a été le théâtre, lequel explique la situation actuelle.» p. 57

* En 1896 dans le secteur Chichester, des francophones qui avaient déposé une plainte sont l'objet de fortes pressions qui illustrent «l'atmosphère vindicative qui règne dans le Pontiac», où «la bonne entente entre francophones et anglophones dépend de la soumission des premiers». p. 74

* En 1911, les francophones forment 56% de la population catholique du Pontiac, mais dans les écoles «on donne à des maîtres qui ne connaissent pas le français des écoles où les neuf dixièmes des élèves ne comprennent pas l'anglais.» p. 71

* Un des instruments d'anglicisation, la communauté des soeurs de St-Joseph, de Pembroke, «inspirent à leurs élèves (francophones) le mépris de tout ce qui est français». p. 98

* En 1921, à Portage-du-Fort, «les élèves francophones qui fréquentent l'école du village ne reçoivent qu'une demi-heure de français par semaine. Toutes les matières sont enseignées en anglais.» Après deux ans de patience, les parents ont déposé une plainte mais la commission scolaire a réembauché la même enseignante de langue anglaise… p. 104

* Au début des années 1940, le Département québécois de l'Instruction publique est saisi de la situation qui perdure mais semble tout à fait «impuissant à assurer le maintien du français dans le Pontiac». p. 137

* Encore dans les années 1940, le point de vue du curé McNally de Campbell's Bay. «Angliciser à outrance, faire du comté de Pontiac le comté le plus anglais de la province de Québec, voilà ce à quoi nous travaillons.» p. 138

* Au sujet de l'inspecteur d'écoles Maltais, en poste de 1920 à 1957: «Son désir de maintenir la bonne entente lui fait accepter "la longue voie des relations cordiales" pour "faire prévaloir la juste reconnaissance" du français, et a comme conséquence que, pour des générations, le français à l'école pontissoise restera trop souvent une langue seconde. Le système scolaire devient ainsi, pour les francophones, un important facteur d'assimilation.» p. 91

* À la fin des années 1940, l'inspecteur Maltais avoue: «En somme, l'école bilinguisme les élèves francophones et maintient l'unilinguisme des anglophones». p. 139

Au milieu des années 1950, le quotidien Le Devoir dépêcha l'un de ses journalistes vedettes, le futur politicien Pierre Laporte, qui signa des reportages dramatiques sur le sort des francophones abandonnés du Pontiac et sur les ravages de l'assimilation. Il serait temps que les médias francophones y retournent en force parce qu'au rythme où vont les choses, à l'exception du secteur de Fort-Coulonge, très majoritairement de langue française, il ne restera plus grand chose de la présence francophone dans la plupart des secteurs du Pontiac. Et il ne faudra pas compter sur le Pontiac Journal du Pontiac pour redresser les injustices du passé…

L'auteur Omer Latour, parlant dans son livre Bande de caves (Éditions de l'Université d'Ottawa  1981) de l'anglicisation de ses compatriotes de Cornwall, Ontario, écrivait: «L'assimilation totale apporte enfin le repos et la paix». Depuis 150 ans, des francophones ont mené dans le Pontiac un combat inégal, abandonnés par Québec, soumis à un diocèse catholique raciste, et les générations d'aujourd'hui en sont le fruit. Anglophones et assimilés vantent la paix et la bonne entente qui règne avec ce qui reste d'une francophonie épuisée…

Les francophones hors-Québec ont lutté et continuent de lutter en minoritaires contre des gouvernements trop souvent hostiles qu'ils ne pourront jamais contrôler. Mais les francophones du Pontiac faisaient et font toujours partie de la majorité québécoise de langue française. Et ça n'a rien donné pendant très longtemps. Et même encore aujourd'hui… Est-ce pire de mourir à petit feu aux mains d'une majorité anglophone hostile, ou par l'inaction d'une majorité francophone indifférente?

Le débat actuel sur le sort d'un petit journal bilingue peut paraître insignifiant, mais il permet de lever le voile sur un visage du Québec que la quasi-totalité des Québécois et Québécoises n'ont jamais vu. Si nous ne nous y intéressons pas, nous aurons collectivement sur notre conscience l'achèvement du génocide culturel des nôtres dans le Pontiac. Et je vous le prédis: dans quelques générations, le sort des Franco-Pontissois sera celui d'autres francophones du Québec, dans l'Outaouais, dans la métropole…


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Dans mon prochain texte de blogue, des exemples de réactions d'anglophones et francophones à la querelle entre le Pontiac Journal du Pontiac et l'OQLF...

1 commentaire:

  1. Monsieur Allard, je me souviens d'un reportage à la télé de Radio-Canada, où le journaliste s'étonnait (ou faisait mine de s'étonner) que presque toutes les enseignes commerciales du village du Pontiac où il se trouvait soient en anglais seulement. Et le brave monsieur francophone à qui il demandait son avis là-dessus lui avait répondu, gêné : «Ben... on est de la même famille !

    Réponse que j'ai interprétée ainsi : «si nous demandons plus de français, nos concitoyens anglophones vont se fâcher. Et nous ne voulons pas que la «chicane pogne» dans le village.»

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