Heureusement que je ne m'arrête pas trop souvent dans les librairies d'occasion… Mon budget de retraite y passerait, les tablettes de mes bibliothèques déborderaient et mon épouse se fâcherait… avec raison. Mais parfois, il arrive que je tombe sur un bouquin irrésistible, comme celui que j'ai déniché le 17 décembre dernier, sans doute en faisant des emplettes de Noël. Le titre était accrocheur, du moins pour moi: «Les journalistes»…
Publié en 1980 aux Éditions Québec-Amérique, le livre est une oeuvre collective, signée par des personnalités médiatiques fort connues à l'époque y compris Michel Roy, Lysiane Gagnon, Louis Martin, Gilles Lesage, Paul-André Comeau, Joan Fraser, Jean-Paul Gagné et d'autres, chacun, chacune abordant un aspect de la profession ou du métier (personnellement je préfère le mot «métier») de journaliste. Je me suis dit que ces textes finiraient sûrement par me me divertir, quelque après-midi ou soirée tranquille…
Finalement, j'ai tiré le volume de ma réserve de lecture hier et en feuilletant les pages d'introduction, je me suis aperçu que le collectif avait confié le dernier chapitre à un romancier-cinéaste de renom, Jacques Godbout, en lui demandant un essai de fiction - de brosser en quelque sorte un tableau de ce que pourrait avoir l'air le monde journalistique québécois en l'an 2010… Il n'en fallait pas plus pour que je commence par la fin, curieux de découvrir ce qu'un auteur-cinéaste de 1980 aurait pu imaginer pour le début de la deuxième décennie du 21e siècle.
Au-delà du fait qu'au bout de trente ans, il transforme le journaliste «redresseur de torts» de 1980 en «amuseur public, conteur et showman», ce qui pourrait en soi alimenter de nombreuses discussions, ses prophéties les plus intéressantes concernent l'évolution des technologies, tant pour les salles de rédaction que pour le public en général. Le livre a été publié au 2e trimestre de l'année 1980, soit quelques mois avant la sortie du premier ordinateur «grand public» vraiment populaire, le VIC-20 de la marque Commodore…
L'ère numérique en était à ses balbutiements, la télé payante n'existait pas encore (du moins pas au Canada), et les ordinateurs commençaient à peine à apparaître dans les salles de nouvelles. Il était presque impossible d'imaginer la prolifération de puissants ordis multi-directionnels dans tous les foyers (et que dire de la panoplie d'appareils mobiles) ainsi que la transformation de l'univers de l'information et des communications par l'Internet depuis les années 1990. Malgré tout, le romancier-cinéaste Jacques Godbout semble avoir eu de très bonnes intuitions.
Nous voici donc en 2010, version Godbout 1980: «Depuis la miniaturisation des ordinateurs, l'utilisation systématique des télétextes, l'accès domestique à la télé-informeuse couplée au tube cathodique bi-directionnel, la diffusion par satellite des programmes nationaux sur le monde entier, et les coûts minimes d'impression au laser, les masses sont naturellement devenues des publics atomisés, et les productions se sont spécialisées.» Intéressant scénario...
Il imagine avec raison le déclin des typographes, «disparus dans la nuit des temps», et un monde où les journaux sont livrés par les ondes, sans papier. « Nous parvenons à peine à nous rappeler les énormes problèmes de livraison à l'époque (1980), écrit-il. La poste et le journal étaient livrés à la main, par un facteur à pied!» Il annonce la disparition des éditions papier des journaux (il s'est trompé d'une décennie à peine), mais concède la survie du «vénérable» quotidien Le Devoir…
Il perçoit, avec l'avènement des nouvelles technologies, un fractionnement des auditoires. «Aujourd'hui, annonce-t-il, les publics du 21e siècle sont divisés par âge, intérêts, revenus, sexe, religion, ethnie, on ne s'adresse plus qu'à des consommateurs qui ne partagent plus qu'une même culture, celle du message publicitaire.» Il n'est pas tout à fait hors cible ici non plus…
Il prédit aussi, à la télé, une multiplication des chaînes spécialisées en parlant des «informations politiques du canal 138» (il n'y en avait qu'une douzaine à l'époque?) ou des archives historiques télévisées, «sur demande au canal 27 et sans arrêt au canal 53»… «La transmission numérique des données et le tube optique ont même déclassé les technologies d'il y a quinze ans», note l'auteur de l'essai fictif sur l'univers de 2010.
Et Jacques Godbout conclut ainsi: «Devant l'écran cathodique d'aujourd'hui, le (journaliste)-communicateur sait qu'il est essentiel à la société-spectacle en ce qu'il produit la fiction la plus vraisemblable de toute l'industrie. De Superman (1980) à Showman (2010), il ne s'agit plus de sauver le monde, mais de le rendre divertissant». Faudrait demander aux journalistes vedettes d'aujourd'hui ce qu'ils pensent de ça…
Bon. Maintenant, j'irai lire les autres chapitres du livre qui, sans exception, portent sur la réalité de 1980 et d'avant...
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