Quand on me demande à l'occasion si j'ai toujours la foi, je réponds que je suis davantage un «espérant» qu'un «croyant»… Après 45 ans de journalisme, veux veux pas, notre carapace de scepticisme épaissit. On n'accepte guère sans preuves tangibles. Et pourtant, parfois, l'espoir peut encore nous convaincre d'accueillir de «beaux risques»…
Ainsi en est-il de la vente des quotidiens de Gesca, y compris mon ex-employeur, Le Droit, au groupe dirigé par Martin Cauchon. Est-ce que je crois qu'il s'agit là d'une bonne affaire? Faute de «preuves tangibles», je me contente pour le moment d'espérer que l'avenir soit meilleur. Une chose est sûre: avec Gesca c'était la mort annoncée des éditions papier. Désormais c'est «autre chose», à définir... Entre la mort et l'inconnu, pour moi le choix est facile!
Certains y sont allés d'une condamnation rapide de cette transaction en insistant sur les liens entre le clan Desmarais, la grande famille libérale et Martin Cauchon, en faisant valoir les cachotteries qui entourent le financement de l'acquisition des quotidiens ainsi que le maintien des administrations et orientations actuelles de l'ex-empire Gesca. Sans doute ont-ils raison de s'inquiéter, tout au moins de soulever la question, mais pourquoi ne pas aussi laisser la chance au coureur - au début en tout cas?
Parce que quelque chose bouge, depuis cette semaine, dans les salles de rédaction des six ex-quotidiens régionaux de Gesca. Pour le moment du moins, on ne ressent plus ce «silence assourdissant» que j'avais dénoncé en mai 2014. Cette dénonciation avait entraîné mon «congédiement» comme éditorialiste au Droit quelques semaines plus tard… Or, des voix critiques, jusqu'à récemment muettes, se font maintenant entendre sur la place publique. Et bon nombre d'opinions émises depuis mercredi me font croire que je ne criais peut-être pas dans un désert…
Le 15 mai 2014, André Desmarais, coprésident de Power Corporation (propriétaire de Gesca), annonçait la disparition à moyen terme de ses six quotidiens régionaux (Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l'Est), la seule option de survie étant l'intégration comme onglet à La Presse+. Encore à l'automne 2014, le patron de Gesca, Guy Crevier, réitérait que «le modèle de la presse papier est mort». Je n'ai entendu personne le contredire dans ses journaux…
Je les comprends un peu. Quand je l'ai fait, on m'a mis à la porte. Mais je n'étais pas syndiqué, ayant le statut de pigiste régulier. Rien n'empêchait cependant les travailleurs et travailleuses syndiqués de l'information (individuellement ou par le truchement de leurs instances syndicales ou de leur fédération professionnelle) de se porter à la défense de l'information régionale, de la liberté d'expression et de la coexistence de l'imprimé et du numérique. Les rares interventions à l'occasion de coupes ordonnées par Gesca, à l'automne et en janvier, n'ont pas remis en cause l'abandon du papier.
Depuis avril 2014, j'ai signé sur ces enjeux une quinzaine de textes de blogue (avant et après mon congédiement du Droit) qui ont provoqué - principalement dans les médias sociaux - quelques vaguelettes dans la mare québécoise et franco-ontarienne de l'information, auxquelles s'est ajoutée l'obtention du Prix de journalisme Olivar-Asselin, présenté en novembre 2014 par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Du début à la fin, mon objectif a toujours été le même: susciter un débat, mettre fin à ce silence qui érode à la longue les consciences médiatiques.
Mais qui suis-je dans le grand tableau des forces en présence? Tout au plus un moustique qui rode autour de la tête du géant, juste assez proche pour l'irriter un peu et trop minuscule pour être vu… Bien sûr on espère toujours que nos arguments portent, mais j'ai plutôt l'impression qu'à l'approche des échéances qui verraient Gesca priver six régions de leur quotidien papier, on a craint en haut lieu un tollé au sein du public, en plus des répercussions négatives pour l'image historique de Power/Gesca... comme fossoyeur de l'information régionale et de l'imprimé…
Quoiqu'il en soit, dès l'annonce de la transaction avec «Groupe Capitale Médias», les réactions ont fusé de partout - des directions, des syndicats, de la FPJQ, et même de chroniqueurs dont certains de l'ex-groupe Gesca. Finie, instantanément, l'atmosphère toxique de censure et d'autocensure qui régnait dans les six quotidiens régionaux. On y étouffait. Il a suffi d'ouvrir une fenêtre et tous les courants d'opinion ont jailli. Enfin! L'amorce de ce qui pourrait devenir un véritable débat de fond.
Le modèle papier est mort? Peut-être dans la tête de Guy Crevier et de ses disciples, mais pas partout… «On croit encore au papier et contrairement à ce qu'on a entendu, le papier n'est pas mort», lance sans nuances Louise Boisvert éditrice de La Tribune et de La Voix de l'Est. Les éditions papier seraient même «la pour rester», selon le nouveau grand patron de la chaîne, Claude Gagnon. Le propriétaire Martin Cauchon y va aussi de ses encouragements: «le modèle papier est encore intéressant… il tient toujours la route davantage en régions.» On n'avait rien entendu de tel depuis des années…
Dans Le Soleil, le chroniqueur François Bourque inclut, dans les défis à relever, «convaincre que les quotidiens papier des régions sont là pour rester et que leurs artisans et annonceurs locaux peuvent recommencer à y croire». Tous, ou presque, sont soit heureux de quitter le giron de Gesca ou, sans s'en réjouir, ne versent aucune larme en saluant le départ de l'ancien vaisseau amiral vers un éventuel port numérique rempli d'incertitudes. Même la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) voit d'un bon oeil la «démontréalisation» de l'information dans les régions.
Dans les pages du quotidien Le Droit, le lendemain de l'annonce, le chroniqueur Patrick Duquette écrit: «Pour la première fois depuis longtemps, hier, on a entendu un patron de presse défendre avec ferveur l'importance d'une presse régionale forte. Après des années à vivre dans l'ombre des grands médias montréalais, c'est rafraîchissant.» Ce qui est merveilleux, ce ne sont pas tellement ces opinions elles-mêmes, mais que leurs auteurs les expriment publiquement, jusque dans les pages de leur propre journal. Avant cette semaine, tout cela me serait apparu impensable!
Jusqu'où nous mènera ce printemps d'apparente liberté retrouvée dans nos six quotidiens régionaux? Personne n'a de réponse à cela. Certains sont pessimistes. D'autres optimistes. D'autres sceptiques. Enfin il y en a, comme moi, qui se veulent «espérants» tout en restant vigilants. En tout cas, on ne peut nier que des langues se délient. Les silences de jadis semblent pour l'instant «tablettés»... Vive le bruit - que je souhaite assourdissant - des salles de rédaction!
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