lundi 25 novembre 2013

Légende ailleurs, inconnu ici

Samedi, 23 novembre. Nous sommes une vingtaine au resto Le petit Italien sur la rue Bernard, à Montréal, en biais du Théâtre Outremont où nous assisterons en soirée au spectacle 15e anniversaire de la troupe Vertiges (à laquelle ma fille Catherine est associée comme chorégraphe et choriste). Je me retrouve, par hasard, à la table des enfants où, sans surprise, chacun a son écran et personne ne se parle vraiment, sauf pour commenter les jeux sur leurs iPod...

Au moment où certains commencent à régler la note pour se rendre au Théâtre, il ne reste à la table, avec moi, que le fils aîné d'une de mes nièces, Théo Allard-Metwalli, âgé de 11 ans. Je ne souviens plus trop comment la conversation s'est amorcée, mais sachant sans doute que je suis allé récemment en France et connaissant mon intérêt pour le débarquement de Normandie durant le seconde Guerre mondiale, Théo me demande si j'ai entendu parler du soldat canadien le plus décoré de l'histoire...

Non, pas la moindre idée... Il s'agit, me dit-il, d'un type appelé Forbes... Jean-Charles de son prénom, croit-il... Vite, je sors mon iPod et effectivement, ce M. Forbes, originaire de la région de Matane, est l'un des plus grands héros militaires du pays, ayant combattu en 1944-45 en France, en Belgique, en Hollande et, plus tard, en Corée. Il était, à sa mort en 2010, le lieutenant-colonel du 22e Régiment.

Je m'aperçois vite, et avec beaucoup de satisfaction, que Théo s'intéresse à l'histoire et qu'il a fait en classe des travaux qui l'ont amené à approfondir certains événements et personnages. Il n'a d'ailleurs que des bons mots pour son professeur qui, m'apparaît-il, a les connaissances voulues et le don de susciter l'intérêt de ses élèves. Cela dit, à mon retour à Gatineau, le lendemain, je brûle d'en savoir un peu plus sur ce Jean-Charles Forbes, dont je n'avais jamais entendu parler...


Une recherche Google m'amène vite sur un documentaire d'une heure d'Alain Stanké, qui a d'ailleurs été présenté en reprise cette année sur les ondes de Radio-Canada (Zone doc). Il est disponible sur le site tou.tv. Le personnage est franc, modeste et attachant, à la fois guerrier et doux, et marqué à jamais par ses expériences de combat. Il manie avec autant de dextérité les armes, la sculpture, la peinture. Il est musicien accompli. Et le militaire canadien le plus décoré...

Le documentaire de Radio-Canada a été réalisé un an avant sa mort. Il avait alors 88 ans. Sa mémoire est intacte, ses relations émouvantes. « Après la guerre tu tournes la page, dit-il, mais en vieillissant, la page revient... elle revient... ». Il s'était enrôlé en 1940 à l'âge de 19 ans. Ils n'étaient que quatre francophones sur 104 dans sa classe au Collège militaire royal de Kingston et l'instructeur l'appelait frog, pas Forbes... ce qui ne l'a pas empêché de devenir officier et de débarquer en Normandie à temps pour les sanglantes batailles dans la région de Falaise et Caen, en juillet 1944.

Le documentaire intitulé Le dernier fantassin n'évoque pas les exploits qui lui ont valu de recevoir les plus hautes décorations du Canada, de la France et des Pays-Bas. En Hollande, il est reconnu comme héros national et on parle de lui dans les leçons d'histoire à l'école, alors qu'ici, au Québec et ailleurs au Canada, il demeure largement inconnu à l'extérieur des cercles militaires francophones. Dans les Pays-Bas, il a sauvé des milliers de vies en empêchant les Allemands de faire sauter des digues (d'immenses territoires auraient été inondés).

À l'automne 1944, il a affronté presque seul (il était accompagné d'un seul officier) des Allemands retranchés et cachés dans un foyer pour personnes âgées de Hollande qui était pourtant marqué de la Croix-Rouge. Un prêtre hollandais a raconté que Jean-Charles Forbes s'était adressé aux Allemands « en sacrant comme un bon », à l'entrée du sous-sol de la chapelle du foyer : « Maudits lâches, maudits peureux, mes Christ, sortez dehors, on va vous casser la gueule ». Il a tellement impressionné les Allemands qu'ils se sont rendus, et a fait sur-le-champ 80 prisonniers... 

Ce n'est qu'une histoire... Il y en a d'autres... Jean-Charles Forbes a été anobli par la reine Wilhelmine de Hollande, qui l'a fait Chevalier militaire de l'Ordre de Guillaume. Il a aussi été fait chevalier de la Légion d'honneur, plus haute décoration de la République française, pour sa conduite héroïque au sein du Régiment de Maisonneuve (un régiment francophone).

Les cicatrices laissées par les violences de la guerre n'ont jamais complètement guéri et les émotions sont toujours à fleur de peau. Il y a quelques années, il s'était adressé à un groupe de cégépiens et après la conférence, une étudiante était venue le voir et lui avait demandé s'il avait tué et quel feeling cela donnait de tuer? Rien qu'à y penser, ses yeux se mouillent. « On ne tue pas parce qu'on aime ça, on reste des êtres humains... », a-t-il répondu.

À preuve, au milieu des bombardements ennemis en 1944, investissant un édifice en ruines, il trouve sous un piano écrasé un violon intact. Il dépose son arme, épaule le violon et se met à jouer une mélodie du répertoire classique alors que les bombes éclatent autour des troupes...

Véritable légende, on se serait attendu que le gouvernement Harper, voué au culte des exploits militaires canadiens, souligne en grande la mort du soldat le plus décoré de l'histoire. Mais on s'est fait plutôt discret dans les milieux politiques. Il n'y a pas de doute que plus en en sait sur Jean-Charles Forbes, plus les horreurs de la guerre et leurs effets sur l'humanité prennent forme. Elles s'incarnent dans ce héros tragique.

Merci Théo, de m'avoir fait découvrir une véritable légende.




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