vendredi 22 novembre 2013

JFK, 50 ans après...


La page une de la dernière édition du journal Le Droit du vendredi 22 novembre 1963.

L'après-midi du vendredi 22 novembre 1963, l'espace d'un moment tragique, nous étions tous Américains. J'avais 17 ans. J'étais étudiant en année pré-universitaire à l'Université d'Ottawa. J'assistais à un cours de classiques grecs du professeur Pierre Brind'Amour, immédiatement après l'heure du lunch, quand la porte de classe s'est ouverte et un type a crié dans l'embrasure : « Kennedy a été abattu ! » La classe s'est vidée presque entièrement et le prof un peu décontenancé a continué à enseigner à une demi-douzaine d'étudiants...

Les autres, y compris moi, se sont rués vers la bibliothèque adjacente où se trouvait le seul téléviseur accessible de la faculté des sciences sociales. Chacun se bousculait pour voir et entendre les bulletins qui se succédaient, jusqu'à ce que la mort du président John F. Kennedy soit officiellement confirmée. Personne n'est retourné à ses cours. Nous étions presque en état de choc. L'événement nous touchait, personnellement, comme s'il avait été « notre » président et non celui des États-Unis. Plusieurs étaient silencieux, quelques étudiantes pleuraient.

J'ai fermé mes livres et cahiers de notes, pris l'autobus et suis revenu à la maison où j'ai passé le reste de la journée collé au téléviseur avec le reste de la famille. Dans les heures et les jours qui ont suivi, c'était le seul sujet de conversation avec nos amis. Nous vivions un deuil, c'était comme s'il avait été un proche parent. Bien sûr, Kennedy étant catholique, nous avions une affinité sur le plan religieux à l'époque. Mais c'était bien plus profond... et avec le recul, difficile à décortiquer.

Je ne suis pas le seul à avoir réagi ainsi. Les salles de nouvelles des journaux, les stations de radio et de télé de la région d'Ottawa-Hull ont été inondées d'appels. Des milliers. Les standards ne dérougissaient pas. Les gens voulaient plus que de l'information... ils étaient anxieux, quasiment en détresse. Il n'y avait pas que le vétéran reporter Walter Cronkite à chiffonner ses yeux cet après-midi là. Le quotidien Ottawa Citizen racontait que l'impact aurait été à peine plus grand si on avait annoncé le début d'une nouvelle guerre mondiale...

En milieu d'après-midi, les deux universités de la capitale ont donné congé aux quelques étudiants restés en classe... Dans les rues du centre-ville, nombreux étaient ceux qui s'arrêtaient pour exprimer leur stupéfaction et leur horreur à de parfaits inconnus. Dans des banques, les employés ont arrêté de travailler. Dans des magasins, il y avait des vendeuses qui pleuraient sans retenue en servant les clients. Le compagnie Bell n'avait jamais enregistré un nombre si élevé d'appels et a demandé aux stations de radio d'inviter les gens à se calmer un peu pour que les appels d'urgence puissent être acheminés...

Aucun politicien d'ici, dans les mêmes circonstances, n'aurait suscité de réactions de cette ampleur au sein du public. Pourquoi alors ? Je me souviens, « à la petite école », dans les années cinquante, de cette légende - amplement évoquée - voulant que la fin du monde se produise en 1960... La Vierge l'avait apparemment révélée à Fatima... Pour des enfants, des annonces semblables ne sont pas très rassurantes et je me rappelle bien la soirée du 31 décembre 1959... vaguement inquiet de ce qui allait se produire le lendemain et pendant le reste de l'année...

En rétrospective, si l'année 1960 n'apporta pas l'apocalypse, elle marqua - et ce, plus que symboliquement - la fin d'un monde. Au Québec, les citoyens enterraient la grande noirceur de Duplessis avec l'élection de l'équipe de Jean Lesage, déclenchant officiellement ce qu'on appellerait la révolution tranquille. John F. Kennedy était élu président. Jeune, premier catholique à ce poste, incarnant une nouvelle génération de dirigeants mondiaux. Suivraient de près Vatican II, les courants de libération, les luttes pour les droits humains, et bien plus.

L'époque était fébrile. Tous se sentaient portés par, ou porteurs d'une puissante vague de changements, sans trop savoir où cela mènerait. On savait d'où on venait, et le regard sur les braises encore chaudes des sanglants conflits mondiaux du 20e siècle suscitait d'immenses espoirs et craintes pour l'avenir. À sa façon, John F. Kennedy incarnait l'espoir, et ce qu'il combattait, les craintes. Et les balles du (ou des) tireur(s) de Dallas ont, me semble-t-il, touché cet élan d'humanité droit au coeur. 

Le folk singer Phil Ochs, militant d'extrême-gauche et adversaire des deux grands partis américains, n'a pu s'empêcher de dire son admiration pour l'homme que fut JFK, tout en continuant de combattre ce qu'il appelait « les systèmes ». Dans sa chanson That was the president, Il écrivait (traduction libre) : « Tout ce qu'il aurait pu devenir, tout ce qu'il aurait pu faire, a été prouvé sous les balles du traître ». Il a mis le doigt sur le noeud de l'affaire : les gens étaient tristes, étaient touchés par leur perception de la perte d'un avenir meilleur que Kennedy, qu'il le mérite ou pas, incarnait à l'époque.

Dans son roman 22 - 11 - 63, Stephen King pose de façon fort originale la question qui nous a toujours chicotée : que serait-il arrivé si JFK avait survécu à l'attentat? Encore aujourd'hui, cette interrogation demeure, et garde bien vivant le souvenir des événements qui ont secoué le monde il y a 50 ans.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire