Mais à bien y penser, pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas profiter de cette invitation d'Ottawa pour remettre les pendules de 1812 à l'heure ? Pourquoi ne pas en profiter pour corriger les interprétations tendancieuses, pour colmater les brèches, pour parler de l'évolution identitaire des anciens Bas-Canadiens, pour évoquer notre toute première révolte contre la conscription, pour jeter un regard sur les obstacles qu'ont dû surmonter les miliciens canadiens-français et leur habile commandant, le colonel de Salaberry, et aussi pour présenter toutes les injustices infligées par l'occupant britannique aux populations francophones de la vallée du Saint-Laurent ?
Cela pourrait servir de contrepoids à la propagande fédérale et, avec un recours judicieux au Web et aux médias sociaux, remplir les trous béants de l'exposition virtuelle du gouvernement canadien sur la guerre de 1812 (http://www.museedelaguerre.ca/guerre-de-1812/). Je vous propose ci-dessous une relecture d'une partie d'un éditorial que j'ai écrit dans le quotidien Le Droit en octobre 2011 (http://www.lapresse.ca/le-droit/opinions/editoriaux/pierre-allard/201110/13/01-4457014-1812-parlons-en-.php), et qui conserve, je crois, toute son actualité.
« Au Canada, et plus particulièrement au Bas-Canada (le Québec d'aujourd'hui), l'opposition à cette guerre était vive. Les Canadiens français n'étaient pas chauds à l'idée de prendre les armes pour le conquérant britannique. Sur une soixantaine de conscrits à La Prairie, la moitié seulement se sont présentés et les autres ont déserté le premier jour.
Quand les militaires britanniques ont arrêté des conscrits
récalcitrants, des centaines de Canadiens français armés ont menacé de prendre
d'assaut les prisons pour les libérer. Après un ultimatum des autorités
britanniques, un campement de 1500 Canadiens français défiants était établi aux
abords du Mont-Royal. Il a fallu des affrontements violents et des victimes,
ainsi qu'une propagande intense pour finalement réussir à imposer la
conscription aux francophones. Tout ça était connu des Américains et a
probablement contribué à leur faire croire à une invasion facile du Québec.
Et puis il y a la célèbre bataille de Châteauguay, avec son
héros authentique, le lieutenant-colonel Michel de Salaberry. Le gouvernement
utilise aujourd'hui cette victoire sur les Américains - voire cette guerre tout
entière - pour donner l'impression d'une certaine unité entre francophones,
anglophones et Autochtones, une espèce de jalon vers la confédération de 1867.
On pousse l'audace jusqu'à y voir une pierre d'assise de l'identité francophone
du Québec contemporain.
Dans la bataille de Châteauguay, quelques centaines de
miliciens, à plus de 90 % Canadiens français, ont mis en déroute une force
américaine de plus de 7000 hommes. Une des défaites les plus humiliantes de
l'histoire des États-Unis. Mais on ne rappellera pas trop souvent que Salaberry
a dû recruter personnellement ses « Voltigeurs » canadiens, qu'il n'a reçu à
peu près aucun soutien (on lui a même nui, à l'occasion) de l'état-major
britannique, qu'on avait limité à 300 le nombre des miliciens faute de fonds,
et que le gouverneur britannique a tenté par la suite de diminuer la gloire de
Salaberry.
Alors quand on vient nous parler d'identité francophone et quand
le ministre James Moore affirme que « les efforts héroïques de ceux qui se sont
battus pour notre pays (sic) durant la guerre de 1812 ont façonné l'histoire du
Canada tel que nous le connaissons aujourd'hui : un pays libre et indépendant,
doté d'une monarchie constitutionnelle et de son propre système parlementaire
», c'est de la bouillie pour les chats. L'oppression britannique est demeurée
aussi forte et il a fallu une rébellion en 1837-38 pour mettre véritablement en
branle un mouvement accéléré vers un gouvernement responsable. »
Une étude approfondie de la guerre de 1812 et la présentation de la perspective canadienne-française de la vallée du Saint-Laurent, avec ses conséquences dans les décennies qui ont suivi, jusqu'à la rébellion de 1837, seraient bienvenues dans le contexte actuel. Et personne, à Ottawa, ne s'en réjouirait.Pierre Allard
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire