Je ne remets pas en question les faits ni les intentions perçues de M. Nadeau-Dubois. Il a fait ce qu'il a fait, et pour les raisons que l'on sait. Ses déclarations sont clairement hostiles à l'utilisation des tribunaux par des étudiants pour faire échec aux lignes de piquetage qui les empêchaient d'assister à leurs cours, et sympathiques au maintien des lignes de piquetage en dépit d'une injonction. Mais cette déclaration constitue-t-elle un outrage au tribunal? Gabriel Nadeau-Dubois n'a pas participé à la ligne de piquetage mise en cause et n'était pas en mesure de donner quelque directive exécutoire que ce soit aux étudiants en grève (ou en « boycottage »). Son titre de porte-parole de la CLASSE lui confère tout au plus un statut d'interlocuteur privilégié auprès des groupes d'étudiants militants. Il exprimait donc une opinion.
Voici la déclaration litigieuse, telle que rapportée dans le jugement:
« Ce qui est clair c'est que dans ces décisions-là, ces tentatives-là de forcer les retours en classe, ça ne fonctionne jamais parce que les étudiants et les étudiantes qui sont en grève depuis 13 semaines sont solidaires les uns des autres, respectent, de manière générale là, la volonté démocratique qui s'est exprimée à travers le vote de grève et je crois qu'il est tout à fait légitime pour les étudiants et les étudiantes de prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait d'aller en grève. C'est tout à fait regrettable là qu'il y ait vraiment une minorité d'étudiants et d'étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective qui a été prise. Donc, nous, on trouve ça tout à fait légitime là, que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c'est un moyen tout à fait légitime de le faire. »
Alors de quelle façon cette déclaration se transforme-t-elle en outrage au tribunal? Essentiellement, semble-t-il, par l'intermédiaire de l'article 50 du Code de procédure civile dont le premier paragraphe se lit comme suit : « Est coupable d'outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d'un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l'administration de la justice, soit à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal. » Ce qui m'apparait clairement en cause, c'est que, selon le juge Jacques, la déclaration de Gabriel Nadeau-Dubois a « porté atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal ». Il souligne d'ailleurs ces mots dans son jugement. Et le juge d'ajouter, en poussant très loin, même trop loin, son raisonnement : en incitant au non-respect des ordonnances rendues par les tribunaux, M. Nadeau-Dubois « prône plutôt l'anarchie et encourage la désobéissance civile »...
Faudrait peut-être rappeler que les discussions sur l'anarchie (dont il n'est pas question dans cette affaire malgré ce que prétend le juge) et sur la désobéissance civile ont cours depuis des siècles et sont tout à fait permises par nos lois. Mais il y a un pas de géant, non franchi par la déclaration de M. Nadeau-Dubois, entre se dire sympathique à la désobéissance civile dans une situation particulière et participer activement à cette désobéissance civile. Dire et faire, ce n'est pas pareil. Dire peut être illégal dans plusieurs cas, quand il s'agit d'une incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination, entre autres. Mais parler de la légitimité de l'utilisation des tribunaux dans le cas d'une grève étudiante, à ma connaissance, ce n'est pas interdit. Je n'appuyais pas la désobéissance civile au printemps dernier, préférant plutôt une contestation judiciaire, mais je peux concevoir des situations où la désobéissance civile peut devenir nécessaire. Il y en a eu dans l'histoire de l'humanité et il y en aura d'autres. Mais encore là, faut faire la distinction entre en parler et le faire...
Mais revenons à la notion de « porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal ». Voilà une phrase vague à souhait, et susceptible d'être interprétée à toutes les sauces selon le degré de sensibilité du magistrat ou du tribunal. Elle me fait penser à certains articles de la Loi 78. Le juge Jacques dit qu'il est « manifeste » que M. Nadeau-Dubois a eu l'intention d'inciter les gens à ne pas respecter les ordonnances et « ainsi porter atteinte à l'autorité du Tribunal. (...) Il s'agit là, à n'en pas douter, d'une atteinte grave à l'autorité des tribunaux ». Je m'excuse, mais ce n'est pas manifeste pour moi.
Le juge affirme dans son jugement que M. Nadeau-Dubois « avait le droit d'être en désaccord avec les ordonnances rendues, mais pas d'inciter quiconque à y contrevenir ». Il crée un seuil un peu vaseux qu'il est difficile à délimiter, d'autant plus que la déclaration citée de Gabriel Nadeau-Dubois évoquait la « légitimité » des lignes de piquetage et non leur légalité. On est dans la sémantique mais tout le droit repose en bonne partie sur le sens et la portée du sens des mots. Si un commentateur médiatique avait écrit qu'il estimait légitime une forme de désobéissance civile face à cette injonction ou face à certains articles de la Loi 78, pour diverses raisons, aurait-il été passible d'outrage au tribunal? Aurait-il porté atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal? Si oui, nous avons un gros problème...
Selon moi, la déclaration de M. Nadeau-Dubois n'avait rien d'illégal et je suis confiant qu'un tribunal de plus haute instance pourra renverser cette décision.
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