Alors que la campagne électorale bat son plein et que le projet d'anglicisation de la 6e année des écoles françaises est complètement oublié, tant par les politiciens que par la quasi-totalité des médias, je vous propose cette page extraite de la biographie d'André Laurendeau (celui de la Commission BB du gouvernement fédéral) par le politicologue Denis Monière, publiée en 1983, que je lisais hier soir en attendant le débat Charest-Lergault. Cet épisode se déroule aux alentours de 1940 :
« Déjà, les enquêtes de (Laurendeau) en Alsace et en Belgique l'avaient convaincu des effets néfastes du bilinguisme de masse dont les principales conséquences étaient la détérioration de la langue maternelle, l'assimilation progressive et la folklorisation de la culture. Il reviendra souvent sur ce thème dans la revue L'action nationale (dont il était rédacteur en chef). Il publie entre autres à la fin de 1940 un texte virulent intitulé La mort par le bilinguisme où il interpelle les fossoyeurs du peuple :
"Quand donc un cynique aura-t-il la logique de sa lâcheté?
"Qui aura le courage de déclarer publiquement : nos ancêtres ont eu tort en 1763 d'opter pour le français. Tort de rester eux-mêmes. Nos ancêtres ont eu tort de se battre pendant 150 ans pour demeurer fidèles à eux-mêmes. Ils nous ont lancé dans une lutte épuisante. Changeons tout cela. Décidons une fois pour toutes de nous angliciser. Que l'école donne le coup de barre. Et que l'on fasse vite. L'acharnement que nous avons mis à nous défendre, mettons-le à nous détruire. Tournons nos armes contre nous et disparaissons du coup que nous nous serons donné."
Ce texte, où perce la rage et le dépit, est écrit en réplique à plusieurs porte-parole du Québec qui, à l'automne 1940, avaient lancé une vaste offensive en faveur du bilinguisme intégral. Cette campagne d'opinion fut initiée par des hommes d'affaires soutenus par Jean-Charles Harvey, directeur du Jour, et par le premier ministre (libéral) Adélard Godbout. Leur objectif était de rendre les écoles primaires bilingues. On invoquait, comme justification, que l'ignorance de l'anglais était, depuis dix ans, la principale cause du chômage (au Québec). Laurendeau admet que la connaissance de la langue anglaise est utile pour réussir sur le plan professionnel. Mais il s'insurge de ceux qui font de cette nécessité ne loi absolue, une religion.
"Savent-ils ce qu'ils disent? Il n'a jamais existé, il n'existe pas de peuple intégralement bilingue. Une élite l'est, doit l'être. Pas une masse... La propagande qui vise à faire de nous tous des parfaits bilingues, vise à faire de nous des (gens) de langue anglaise." »
Le projet du gouvernement Charest de bilinguiser les 6e années n'est pas aussi ambitieux que celui de son prédécesseur Godbout, il y a plus de 70 ans, mais la philosophie et les objectifs qui le sous-tendent ont des similitudes. Sauf qu'aujourd'hui, il ne semble pas y avoir de personnalité de la stature d'André Laurendeau pour donner la réplique aux fossoyeurs du français. En 2012, à cet égard, « trop de Québécois suivent comme des moutons un berger qui ne voit pas le précipice » (voir http://bit.ly/MfmZDT ).
Pierre Allard
Pour une courte bio d'André Laurendeau, voir http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/laurendeau-andre-4025/biographie.html .
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