Lettre aux étudiants
Je vous écris parce
que je vous crois la partie la plus responsable et la plus crédible dans le
débat qui secoue actuellement le milieu collégial et universitaire québécois.
Dans une démocratie parlementaire qui fonde sa légitimité
sur la primauté du droit, l’État a la responsabilité d’assurer le respect des
lois et, pour ce faire, peut utiliser les forces de l’ordre et les tribunaux
pour réprimer des citoyens qui ont recours à des moyens violents pour atteindre
leurs buts. Ce principe est inflexible et, sauf en cas de légitime défense pour
protéger la vie, l’intégrité physique ou les biens, la violence doit être
condamnée sans ménagement.
L’histoire et l’actualité ont malheureusement démontré que
les États, par leurs dirigeants, leurs corps policiers et leurs forces armées,
ont abusé à l’occasion de ces pouvoirs, et que des individus ou des groupes ont
effectivement joué la carte de la violence pour faire valoir des points de vue
ou des idéologies. Quand les premiers se conjuguent aux seconds, il en résulte parfois
des crises de société qui laissent des blessures profondes. En sommes-nous là
avec l’escalade des affrontements entre le gouvernement du Québec et les
groupes d’étudiants universitaires et collégiaux en grève? Il faut le craindre.
Entre l’attitude irresponsable du gouvernement Charest, qui
favorise de toute évidence des tactiques visant à diviser les étudiants et à
les discréditer auprès de l’ensemble de l’électorat, d’une part, et
l’incompétence naïve des jeunes stratèges de vos fédérations et de votre
partenaire plus volatile, la CLASSE, celui-là débordé par des groupuscules
violents, il n’y a guère de lueur à l’horizon. La rupture des pourparlers a,
pour le moment, laissé le champ libre aux casseurs et aux
matraques.
Il faudra agir vite pour éviter le pire et, à ce stade, la
solution ne paraît pas devoir émaner du gouvernement, qui s’est placé en
position de ne plus pouvoir reculer sur l’essentiel sans perdre la face. La
balle est nettement dans votre camp et celui de vos alliés au sein des corps
professoraux, des syndicats et de la société tout entière. Le défi est grand
mais vous devrez, pour négocier un compromis sans doute indigeste, trouver le moyen d'évincer la
minuscule fraction d’agitateurs violents et conquérir l’opinion publique en vue
d’une action politique concertée au prochain scrutin québécois, qui ne saurait
guère tarder.
Vous avez des alliés
syndicaux avec une longue expérience des services d’ordre pour assurer des
manifestations pacifiques. Mettez-les à profit. Faites votre possible pour
interdire la présence de manifestants masqués, déjà en soi suspects. Que celui
ou celle qui appréhende un geste violent durant une manifestation ait le
courage de l’empêcher ou de le dénoncer. Et que tous vos dirigeants – y compris
ceux de la CLASSE – aient la maturité de condamner avec autant de vigueur tous
les actes de violence, ceux des leurs comme ceux des forces de l’ordre. Seule
l’action pacifique permettra de vaincre à plus long terme. Les violents sont toujours
perdants.
Des dizaines de milliers d’entre vous avez accepté de mettre
en péril une précieuse session d’études pour dénoncer une hausse des droits de
scolarité que vous jugez abusive. Vous avez atteint un degré de mobilisation
inespéré et obtenu l’appui d’un grand nombre de professeurs, de parents, de syndicalistes.
Vous avez imposé à l’ensemble de la société une remise en question des valeurs
en éducation. Faudrait-il tout risquer en donnant libre cours à une poignée
d’agitateurs violents (qui sont-ils réellement?) et à la réplique très, voire
trop musclée des policiers et des tribunaux qui en résultera? Le gouvernement
n’attend que ça!
On peut comprendre l’exaspération actuelle de bon nombre
d’étudiants. Vous venez de découvrir les méandres des négociations avec le
pouvoir, où tout est gris et dissimulé. Vous faites un apprentissage accéléré
de l’action politique dans un climat de crise. Vous êtes nombreux,
désorganisés, éparpillés, unis par vos seules revendications. Mais vous
façonnez le Québec de demain, et vous devez le faire en citoyens responsables.
Pierre Allard
Éditorialiste, LeDroit
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